4.3 - Optimisation des couches physiques. IFREMER des habitats marins
220 4 - Comment réalise-t-on une carte ? pour que les données puissent être regroupées dans un même ensemble. Par contre, si les techniques employées présentent des différences substantielles, cela a nécessairement des conséquences sur la composition de l’ensemble de données ainsi constitué.
On sait par expérience que les jeux de données reflètent les compétences et les habitudes des opérateurs, même lorsque les techniques utilisées sont en principe
équivalentes d’un levé à l’autre. On peut devoir supprimer des identifications discutables d’un ou de plusieurs jeux de données, ou recourir à des niveaux taxinomiques supérieurs
à ceux qui sont indiqués.
On peut devoir faire des transformations mathématiques des données brutes, ou même les réduire aux catégories du système SACFOR ou à des indications de présence ou d’absence, pour trouver un dénominateur commun entre plusieurs jeux de données, particulièrement si l’on soupçonne que des données sont biaisées. Il peut être important d’éliminer les raretés des données, afin que les données transformées reflètent des occurrences d’espèces en lesquelles on puisse avoir confiance.
Il est possible que des données soient sous forme de classes d’habitat qui doivent être traduites selon la nomenclature typologique la plus récente. Là où la traduction n’est pas claire, on peut devoir regrouper des types d’habitat à un niveau plus élevé de la typologie, d’où une perte éventuelle d’information. Une autre possibilité consiste à utiliser une forme de vie ou un complexe qui représente l’essence du biote des habitats en question.
4.3 - Optimisation des couches physiques
La deuxième étape principale de la production d’une carte d’habitats consiste à sélectionner les couches physiques les plus appropriées. Cela peut exiger une certaine préparation des données brutes (p. ex. des nouvelles données de télédétection qui ont
été acquises).
À ce stade, on suppose que des couches de données acquises au cours d’un même levé
(ou d’une série de levés coordonnés), par exemple des cartes acoustiques, ont été préparées selon une norme acceptable (voir le chapitre 3 « Comment se fait l’acquisition des données ? »). Il s’agit ici de préparer ces données et les données provenant d’autres sources pour les intégrer aux données de terrain afin de produire des cartes d’habitats biologiquement pertinentes. On peut adopter une approche rudimentaire, ou faire une analyse plus poussée en étudiant le rôle de nombreuses variables. La sélection des variables principales sera guidée par l’expérience acquise au cours de l’analyse des données de terrain.
L’adéquation d’un lieu à une espèce donnée (et par extension à une biocénose caractéristique d’un type d’habitat) dépend en grande partie de facteurs physiques et environnementaux. Cependant, la présence de facteurs favorables à un habitat ne signifie pas qu’une espèce donnée soit présente, car de nombreux autres facteurs (compétition, histoire du recrutement, prédation, activités humaines, etc.) peuvent entraîner son absence.
Un petit nombre de facteurs physiques et environnementaux ont une importance universelle dans la détermination de la répartition de toutes les espèces marines et de tous les types d’habitat marin. Trois d’entre eux, énumérés ci-dessous, sont considérés comme fondamentaux dans la typologie E
UNIS
et constituent les données de base d’une
cartographie prédictive aux niveaux 3 et 4 de la typologie E
UNIS
pour tout le territoire couvert par le projet M
ESH
(ce que l’on appelle les « cartes de triplets » décrites page
245). Le chapitre 2 « Que veut-on cartographier ? » présente de manière générale les données qui sont nécessaires ; ici on insiste sur l’importance des couches physiques requises.
4 - Comment réalise-t-on une carte ? 221
¾ Substrat – Le substrat (p. ex. rocher, sable, vase, blocs) est cartographié sous forme de classes définies selon une échelle granulométrique (p. ex. l’échelle de Wentworth ) ou selon les proportions relatives de silt, de sable et de gravier (le triangle de Folk).
Cependant, les caractéristiques cruciales du substrat varient considérablement d’une espèce et d’un habitat à l’autre, de sorte que des variables continues et définies de manière précise, telles que le pourcentage de silt ou la taille médiane des grains, peuvent être plus significatives sur le plan biologique et donc mieux adaptées à une modélisation. Certaines de ces variables peuvent être déduites de données de télédétection grâce à l’interprétation d’experts ou au moyen d’une classification automatisée.
¾
Bathymétrie – De nombreuses contraintes environnementales importantes qui jouent sur la répartition des espèces sont liées à la profondeur. Le degré de pénétration de la lumière est souvent donné en fonction de la profondeur, mais cela dépend des conditions locales et régionales de turbidité de l’eau.
¾ Énergie hydrodynamique – L’énergie hydrodynamique au fond de la mer peut être mesurée, mais elle est souvent modélisée à partir d’autres facteurs, et il y a plusieurs manières de l’exprimer et de la calculer.
Il faut être conscient que d’autres variables peuvent s’avérer des facteurs importants de la répartition de certaines espèces ou d’habitats particuliers, par exemple la température et la salinité de l’eau, le transport de sédiments, les figures sédimentaires. De plus, les levés peuvent entraîner la mesure de propriétés impossibles à interpréter de manière immédiate quant à des facteurs biologiquement pertinents, telles que la réflectance et la rétrodiffusion acoustiques.
Les variables requises pour la cartographie des habitats dépendent du territoire et des
habitats à cartographier, ainsi que de la finalité de la carte : la cartographie d’un vaste territoire contenant une grande variété de types d’habitat peut exiger un grand nombre de variables, alors que le gradient de pénétration de la lumière et la salinité de l’eau entre autres peuvent être considérés comme constants dans une petite zone et donc ne pas
être nécessaires.
Comme on l’a indiqué plus haut, les données des variables et des couches physiques sélectionnées peuvent devoir subir une transformation avant leur intégration aux données de terrain. Diverses techniques de transformation peuvent être appliquées aux données pour produire des couches physiques prêtes à intégrer aux données sur les habitats.
Le processus de transformation peut être très simple (p. ex. changement de format comme la conversion de données vectorielles en données matricielles ou vice versa) ou faire intervenir des méthodes complexes telles que des calculs et opérations de
classification sur des points (p. ex. calculs de pente à partir de données bathymétriques), techniques géostatistiques avancées pour l’interpolation optimale de la répartition de sédiments).
Enfin, les couches physiques obtenues doivent être combinées selon une stratégie qui les rende le plus pertinentes possible sur le plan biologique.
222 4 - Comment réalise-t-on une carte ?
Exemple d’utilisation de règles d’adéquation d’un milieu en tant qu’habitat afin de transformer et reclassifier des jeux de données en zones biologiquement pertinentes, que l’on combine pour en déduire des classes d’adéquation d’un milieu en tant qu’habitat
4.3.1 - D’où viennent les couches physiques ?
Rappelons que les couches physiques peuvent consister en des données de télédétection
(données acoustiques, images satellitaires, photographies aériennes, lidar, etc.), être indirectement liées par une interprétation de données brutes (en tant qu’intermédiaires représentant certains facteurs physiques) ou être créées à l’aide de modèles déterministes (sédiments, exposition, courants de fond, etc.).
Le tableau ci-après énumère des paramètres qui ont une influence sur la présence et la répartition d’habitats benthiques. Connor (2007) aborde plus en détail la question des jeux de données.
Variables Unités
Ligne de rivage m
(marée astronomique la plus haute)
Bathymétrie (y compris la m, gradient topographie)
Substrat superficiel Mètre supérieur de sédiment
Structure des sédiments (phi, mm)
Base absolue des vagues
Exposition aux vagues et fetch
Lithologie
Discontinuité du potentiel d’oxydoréduction
Mètres sous la surface de la mer
(valeur moyenne sur une période d’au moins un an, de préférence sur les
10 dernières années)
Coefficient d’exposition,
tension de cisaillement
Vélocité orbitale (p. ex. pour les conditions pertinentes de tempête)
Peut dépendre de la durée de vie des organismes pertinents.
Applications
Définition de la frontière entre la terre et la mer
Complexité du littoral, aspect, relief
Topographie, modélisation 3D, pente, relief,
figures sédimentaires
Relation avec la zonation biologique
Identification des sédiments benthiques,
habitats
potentiels, variété des biocénoses
Accumulation de contaminants, zones anoxiques
Évaluation du degré de perturbation du fond, susceptible d’affecter les biocénoses
Identification des habitats potentiels, variété des organismes, perturbations du fond
4 - Comment réalise-t-on une carte ? 223
Variables Unités
Température (à la
°C surface, au fond, profil)
Moyenne annuelle
Thermocline
Salinité (à la surface, au fond, profil) o
/ oo
Halocline
Vitesse du courant
(tensions de
cisaillement
résiduelle
U .cm/s
(voir plus loin) et maximale)
Stratification
Mélange
Anomalie de l’énergie potentielle, Jm
(voir plus loin) cm, m
3
Étendue spatiale et temporelle
Amplitude des marées et modifications du niveau de la mer
Transparence, atténuation de la lumière
Turbidité
Couvert de glace
(saisonnier, et non glace de fond)
Profondeur de non-visibilité du disque de Secchi (m)
Unité de turbidité
Nombre de jours et étendue de la couverture de glace
Épaisseur (m)
Applications
Zones biogéographiques
Biocénoses
particulières
Stratification
Identification des habitats potentiels, variété des organismes
Identification des habitats potentiels, répartition des sédiments
Stabilité de la colonne d’eau
Rétention des juvéniles
Développement de l’anoxie
Identification des habitats potentiels, zonation, temps d’exposition
Profondeur de la zone photique
Habitats
potentiels (macro-algues, maërls, etc.)
Variété des organismes sessiles
Tendance à l’anoxie dans les bassins peu profonds
Acidification pH des sédiments et de la colonne d’eau
Gaz dissous
Oxygène et méthane
Qualité de l’eau et nutriments mg/l, saturation en pourcentage
Zone anoxique ou durée de la période de baisse de la concentration d’oxygène
Biocénoses
particulières
Enrichissement d’origine humaine
Activités humaines
Occurrence, fréquence ou intensité des éclosions d’algues
Espèces benthiques
Azote inorganique dissous, phosphore inorganique dissous, silicate, u/ml
Multiples
Chlorophylle a
Présence de substances toxiques
Modifications des habitats
Eutrophisation, anoxie possible, impact sélectif possible des substances toxiques
Espèces pélagiques
Mesures de la biocénose benthique (abondance, diversité, etc.)
Biocénose
pélagique
Variété des organismes, diversité benthique; formation possible d’habitats (récifs biogènes ou modification d’habitats); non nécessaire pour la prédiction mais requis pour la validation
Variété des organismes, diversité pélagique; pour la validation du modèle
Exemples de jeux de données qui peuvent servir à la cartographie des habitats (CIEM, 2006)
Certains paramètres sont moins pertinents que d’autres et peuvent être utilisés au cas par cas. Les variables principales demeurent le type de sédiment, la bathymétrie et l’énergie hydrodynamique ; pour la plupart, les variables secondaires résultent de calculs ou d’associations plus ou moins complexes à partir des variables principales.
Selon le milieu, ce ne sont pas les mêmes variables qui sont les plus importantes dans la détermination de l’habitat. En particulier, les substrats rocheux diffèrent sensiblement des substrats sableux, et leur caractérisation requiert un choix de variables différent. Les variables explicatives des substrats rocheux sont très importantes en France, au
Royaume-Uni et en Irlande, alors que les substrats sableux sont prédominants en
Belgique et aux Pays-Bas.
Au risque d’anticiper sur une prochaine sous-section à propos de l’intégration des données de télédétection et des données de terrain, disons que l’utilisation des couches physiques pour produire une carte d’habitats peut prendre la forme d’une interprétation directe, d’une analyse statistique ou d’une modélisation de l’adéquation d’un milieu en
224 4 - Comment réalise-t-on une carte ? tant qu’habitat. L’organigramme ci-après résume ces utilisations des couches physiques, décrites plus en détail à la section 4.4 « Optimisation de la construction de la carte ».
Cet organigramme illustre plusieurs des sources de couches physiques que l’on peut exploiter pour la cartographie des habitats. Il ne prétend pas être exhaustif, mais montre la variété des possibilités à considérer.
Modes de production de cartes d’habitats à partir de données brutes (MAMP : modèle d’adéquation des milieux physiques)
4.3.2 - Transformation de données
Les couches physiques peuvent ne pas être disponibles dans le format voulu pour la modélisation (p. ex. des données vectorielles peuvent devoir être transformées en données matricielles ou vice versa). Il faudra donc probablement transformer certaines données afin de créer les couches physiques nécessaires pour pouvoir cartographier la répartition des habitats.
Le processus de transformation peut être très simple, comme un changement de format, ou faire intervenir des méthodes complexes telles que la reclassification ou même une modélisation sophistiquée (p. ex. pour déduire la répartition de sédiments). Dans ce dernier cas, on peut devoir intégrer les données d’échantillons de sédiments et des données à couverture totale. Diverses techniques de transformation peuvent être appliquées aux données pour produire des couches physiques prêtes à intégrer aux données sur les habitats.
4 - Comment réalise-t-on une carte ? 225
Voici quelques processus de transformation couramment employés :
– conversion de données en un format commun de données matricielles (ou
données maillées) – Le format matriciel (voir le glossaire) est particulièrement bien adapté à de nombreuses formes de manipulations mathématiques et à la modélisation
à partir de plusieurs couches ;
– reclassification et combinaison de données – L’une des manières les plus courantes de manipuler des données matricielles consiste à reclassifier les valeurs d’une variable continue en un ensemble de classes discrètes. On peut ensuite combiner deux ou plusieurs jeux de données reclassifiés en un même tableau à double entrée où chaque combinaison de valeurs des jeux de données d’entrée résulte en une valeur distincte ;
A
C
C
B
C
A
B
A
B
A
A
B
C
C
C
A
A
B
AA
CA
CB
BC
CC
AC
BA
AA
BB
Illustration d’une combinaison de deux jeux de données matricielles
A
C
C
B
C
A
B
A
B
2
1
3
C1
A1
C2
C2
A2
C3
C2
A2
B1
C3
C1
A1
B1
A3
B3
B3
4
A4
B4
C4
Illustration d’une combinaison d’un jeu de données matricielles et d’un jeu de données
vectorielles
– interpolation de données ponctuelles pour constituer des couches complètes
modélisées – De nombreux jeux de données doivent faire l’objet d’interpolations pour produire des couches complètes, puisque les données brutes sont ponctuelles. À titre d’exemple, un échosondeur utilisé pour un levé hydrographique produit un ensemble de données ponctuelles le long du cheminement du navire.
De plus, dans le cas des données sur les sédiments, la méthode d’interpolation joue un rôle crucial pour l’obtention de couches fiables. Le paragraphe 4.3.2.3 « Obtention d’un degré optimal de couverture » aborde les questions de statistiques spatiales et d’interpolation optimale ;
– algorithme à fenêtre mobile – Un algorithme à fenêtre mobile consiste à faire passer une fenêtre (p. ex. un carré d’une largeur et d’une hauteur de 9 pixels, ou toute autre forme) sur une image pixel par pixel, en attribuant au pixel central de la fenêtre une valeur résultant de l’application d’une formule mathématique précise à tous les pixels inclus dans la fenêtre. Les algorithmes les plus simples calculent la moyenne ou le mode de ces pixels et servent à simplifier l’image. Des algorithmes plus complexes donnent des valeurs de variance et d’hétérogénéité, d’autres la pente ou l’aspect (à partir de données bathymétriques). Ces couches dérivées peuvent souvent révéler beaucoup d’information utile sur la couche brute et constituent le point de départ de la détection de structures benthiques et de l’évaluation du paysage marin ;
226 4 - Comment réalise-t-on une carte ?
Mea n
5
2
6
3 3
3.4
4
3
1
Original data
1
3
1
4
2
4
1
6
1
1
6
4
6
6 6
5
5
2
4
1
3
1
3 6
6 6
3 1
5
3
4
3
3
5 3
2 2
2
4
1
2
1
6
3
6
1
4
5
1
2
5
1 1
2 1
2
5
6 4 1
4 3
3 3
5
6
6
5
3
5
5
2
4
5
3
4 2
1 1
2
2
6
6
6
4
1
1
1
3
2 5
3
3
3
4
4
3
5
6
6 x2
5
2
6
3 3
4 3
4 1
Mode
5
2
6
3 3
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4
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1
3
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4
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4 4
1 6
6
1
6
6
5
5
2
4
1
3
6
3
3
1
4
3
5 3 3
2 2
6
6 6
3
2
4
1
6
4
10
4
1
6
4
4
8
1
3
10 6 3
5
1
5
3
6
6
1
2 2
2
2
1
5
1
5
3
5
8
5
5
2
3
2
4 2
1 1
2
2
6
3
1
1
1
6
6
4 4
3
4
3
3
3
5
6
6
5 calculated data
Illustration d’un algorithme à fenêtre mobile
– analyse « à l’œil » par des experts – Utilisé de manière systématique par des personnes expérimentées, l’examen « à l’œil » peut donner une interprétation très sophistiquée d’une image complexe ;
– classification non supervisée et reconnaissance de formes par ordinateur – Des données peuvent être soumises à des techniques assistées par ordinateur de détection de groupements « naturels » de valeurs. Ces techniques sont dites « non supervisées » si le logiciel peut segmenter les données sans égard aux données de terrain. Ces techniques sont souvent employées pour guider l’échantillonnage, et aussi pour établir la correspondance entre des données de terrain et des subdivisions
« naturelles » dans les données de télédétection ;
– classification supervisée – Ce processus est abordé plus en détail à la section 4.4
« Optimisation de la construction de la carte », comme outil important d’intégration des données de terrain et des images obtenues par télédétection. On le mentionne toutefois ici, car ce même outil peut servir à produire des couches physiques des types de sédiment, à partir desquelles seront créés des modèles d’adéquation des milieux physiques (MAMP). La classification supervisée permet de détecter dans les données de terrain des signatures que l’on applique ensuite aux couches physiques pour prédire les classes de sédiment ;
4.3.2.1 - Analyse des données de télédétection par des experts
Lorsque l’on a recours à la télédétection pour dresser une carte physique d’un territoire, l’interprétation de cette carte pour la classification des substrats et quant aux figures
sédimentaires doit être validée à l’aide de techniques d’observation ou d’échantillonnage, sans quoi le rendu cartographique risque d’être moins fiable.
Idéalement, chacun des polygones cartographiés devrait être échantillonné pendant la campagne de terrain, mais cela est souvent impossible en pratique. Plus probablement, c’est chaque type de substrat que l’on échantillonne en faisant appel à une variété de techniques. Il faut ensuite utiliser les données ou l’information des échantillons pour valider l’ébauche de carte physique. Si certaines classes provisoires s’avèrent erronées, il faut les modifier en conséquence.
Si les sédiments meubles prédominent, une analyse géophysique complète est le moyen le plus sûr de valider les classes de sédiment. Cela peut comprendre une analyse granulométrique et des tests des propriétés géotechniques des sédiments (pénétrométrie,
tensions de cisaillement, etc.). Si de telles analyses ne peuvent être obtenues, on peut avoir une certaine confiance en des descriptions résultant d’une inspection directe des
échantillons, par exemple en faisant un levé à pied d’une plage ou en examinant des sédiments prélevés à la benne ou par carottage. À défaut de cela, la validation peut devoir reposer sur les résultats d’observations à distance, à l’aide de photographies ou de bandes vidéo du fond de la mer.
4 - Comment réalise-t-on une carte ? 227
Si les sédiments durs prédominent (affleurements rocheux, blocs, gros cailloutis), la validation repose en grande partie sur des techniques d’observation. Sur place, le moyen le plus fiable est l’observation humaine directe par des levés à pied du littoral ou en plongée dans des zones de petit fond. En eau profonde, l’observation peut être limitée à l’utilisation de techniques photographiques ou vidéo, qui risquent d’être moins fiables en raison d’un champ de vision restreint. En l’absence d’observations, on peut faire une certaine validation sur des échantillons prélevés à la drague ou avec de très grosses bennes.
Une ébauche de carte physique peut inclure une certaine interprétation des figures
sédimentaires telles que des rides de sable ou des dunes hydrauliques. Dans bien des cas, les techniques de télédétection constituent le meilleur moyen de reconnaître ces
figures sédimentaires, et les possibilités de validation sont extrêmement limitées. Dans ce cas, il peut être approprié de procéder à une validation croisée, en comparant les résultats de deux techniques de télédétection (p. ex. l’échosondeur multifaisceaux et le sonar à balayage latéral) pour voir si elles détectent la même figure sédimentaire. Les techniques de prélèvement permettent rarement de valider l’interprétation de figures
sédimentaires, car les échantillons sont prélevés à une échelle beaucoup trop petite (un prélèvement à la benne ne porte que sur une surface de 0,1 m
2
, alors que des formations sableuses peuvent avoir une longueur d’onde de plusieurs mètres). Les techniques d’observation (caméras et plongeurs) constituent probablement la méthode de terrain la plus sûre de validation des figures sédimentaires en domaine subtidal, mais elles risquent de n’être efficaces que pour des figures sédimentaires de l’ordre du mètre plutôt que du décimètre (en raison de la visibilité restreinte).
Le processus de validation doit également comprendre la vérification des frontières entre types de sédiments ou des limites des figures sédimentaires observés par télédétection.
La détermination de telles frontières est probablement la partie la plus critique de la
cartographie des habitats ; leur emplacement et leurs caractéristiques jouent un rôle important dans la fiabilité générale d’une carte. Les frontières sont-elles au bon endroit ?
Représentent-elles des changements nets ou graduels de type de sédiment ? Là encore, la validation croisée des résultats de deux ou plusieurs techniques de télédétection peut
être utile. On peut aussi faire appel à l’observation directe ou à des cheminements vidéo.
Sur le littoral, on peut utiliser un GPS portatif pour suivre en détail le tracé de frontières entre types d’habitat.
Exemples d’interprétation de sédiments, de figures sédimentaires et de frontières à partir des images fournies par un sonar à balayage latéral. L’interprétation doit être validée à l’aide de données d’une campagne de terrain.
228 4 - Comment réalise-t-on une carte ?
4.3.2.2 - Transformation d’images de rétrodiffusion acoustique
La transformation d’images de rétrodiffusion acoustique en cartes utilisables pour la
cartographie des habitats est un processus plus ou moins complexe selon le cas. Les images sont surtout interprétées quant à la réflectivité, à la texture et aux motifs présents, et cela peut se faire d’une façon plus ou moins objective.
Il faut savoir que la rétrodiffusion est déterminée, en ordre décroissant d’importance, par
(Blondel et Murton, 1997) :
1. la géométrie du système capteur–cible (angle d’incidence de chaque faisceau, pente du terrain, etc.) ;
2. les caractéristiques physiques de la surface (rugosité fine, etc.) ;
3. la nature intrinsèque de la surface (composition, densité, importance relative de la diffusion ou de la dispersion volumique ou superficielle à la fréquence choisie).
De plus, la qualité des images de rétrodiffusion varie selon les différentes fréquences acoustiques et leur limite de résolution. Elle peut aussi varier d’un endroit à l’autre et selon les conditions biogéographiques.
L’interprétation de la nature et de la répartition des sédiments demeure difficile et exige des sonogrammes de bonne qualité. Les principaux paramètres de la réponse acoustique des sédiments marins sont, par ordre d’importance :
1. la porosité ;
2. la densité ;
4. le degré et le type de lithification ;
5. la taille et la répartition des grains.
Il est fort probable que l’on arrive à distinguer les terrains durs et les terrains mous, mais au-delà de ça, une campagne de terrain approfondie peut être nécessaire. Lorsque la présence d’espèces ou de biocénoses macrobenthiques est fortement corrélée avec la nature des sédiments, on peut tenter d’interpréter dans un premier temps les sonogrammes quant à la nature des sédiments, puis de faire le lien avec l’aspect biologique (interprétation indirecte). Dans ce cas, il faut absolument faire d’abord une estimation des variations de porosité et de densité. De ce point de vue, les zones fortement travaillées telles que le sommet des bancs de sable, peuvent avoir une faible rétrodiffusion, même si les grains sont souvent plus grossiers que dans le voisinage. De plus, les sédiments même faiblement enrichis de silt ou d’argile sont plus compacts et leur rétrodiffusion est plus forte. Voir le schéma d’interprétation qui suit.
Schéma d’interprétation d’habitats de substrats meubles (Van Lancker
et al.
, 2001)
4 - Comment réalise-t-on une carte ? 229
Image de sonar à balayage latéral et bathymétrie correspondante de bancs de sable et d’une cuvette en zone de petit fond près du littoral belge. Le long du banc de sable Trapegeer, la rétrodiffusion acoustique est relativement faible, ce qui correspond à des sables moyens. Dans la cuvette, le faciès de grande réflectivité correspond à des sables fins avec une certaine proportion de silt ou d’argile. Au pied du banc de sable Broersbank, le faciès inégal est lié à la présence du Polychète tubicole Lanice
conchilega
. Le faciès de grande réflectivité du banc de sable Broersbank est dû à la présence de rides
à grains grossiers.
Aujourd’hui, on arrive à construire un modèle à couverture totale de la nature des sédiments à partir des variations de la rétrodiffusion acoustique de sondeurs multifaisceaux. À titre d’exemple, Ferrini et Flood (2006) ont étudié la relation entre l’intensité de rétrodiffusion (avec un système multifaisceaux à 300 kHz), la répartition de la taille des grains et la rugosité du fond d’un site sableux, en faisant une analyse des composantes principales et une régression multiple. On a pu établir une corrélation entre la rugosité, la taille des grains et l’intensité de rétrodiffusion, mais l’importance relative des facteurs variait, et ce même si les levés étaient limités aux sites sableux. Les principales variables contribuant à la variation de la rétrodiffusion étaient la taille moyenne des grains, l’écart type de la taille des grains et les variations d’altitude au-dessus du fond, déduites d’une carte de la rugosité à petite échelle. La carte de rugosité est cruciale, et exige des sondages multifaisceaux et une campagne de terrain d’un haut niveau de qualité. Pour des sites plus graveleux, le pourcentage de gravier et le pourcentage de coquillages ont des effets importants sur l’intensité de rétrodiffusion.
Un aperçu des stratégies et processus de cartographie acoustique du fond de la mer est donné par un document sur la cartographie des habitats benthiques en zone côtière de petit fond .
230 4 - Comment réalise-t-on une carte ?
4.3.2.3 - Obtention d’un degré optimal de couverture
Interpolation de données ponctuelles
Lorsque l’on utilise des données quantitatives, la densité des points d’échantillonnage doit
être suffisante pour que la couverture soit adéquate. Il existe différentes techniques d’interpolation, qu’il faut comparer. Il est nécessaire de faire une bonne exploration des données à l’aide d’un histogramme, d’une distribution des fréquences et de certaines statistiques descriptives, afin de bien connaître les données et d’avoir une idée de leur qualité.
Une méthode géostatistique appelée krigeage consiste en une technique d’interpolation qui tient compte de la corrélation spatiale entre des points d’observation voisins pour prédire des valeurs en des points non échantillonnés (Goovaerts, 1999). Cette méthode donne une indication des erreurs et incertitudes liées aux valeurs calculées par
interpolation, en fonction de la variance des valeurs estimées (Burrough et McDonnell,
1998).
Lorsque la densité des points d’échantillonnage est faible, les méthodes géostatistiques ont l’avantage d’améliorer grandement l’interpolation. La validation à l’aide de données indépendantes permet de savoir où il faut un échantillonnage supplémentaire et où la
carte est de moins bonne qualité.
Dans certains cas, lorsque les données d’échantillonnage sont en corrélation avec d’autres données de couches physiques, il est possible de recourir à des méthodes géostatistiques à variables multiples. Prenons l’exemple de la corrélation entre la taille des grains et la bathymétrie. Dans les substrats meubles et les zones à forte énergie hydrodynamique, la bathymétrie influence la répartition des sédiments. En particulier, dans le cas des bancs de sable et des cuvettes, la répartition des sédiments varie considérablement selon l’entité morphologique. Verfaillie et al. (2006) ont démontré la puissance de cette technique et l’ont utilisée pour obtenir une carte à couverture totale donnant la taille médiane des grains de la partie sableuse de toute la portion belge de la mer du Nord ( UGent_Multivariate_geostatistics.pdf
). Son application a été étendue à la production de cartes de la partie sud de la mer du Nord, comprenant le plateau continental belge, la partie sud du plateau continental des Pays-Bas et une petite partie des eaux situées au sud-est du Royaume-Uni. La même technique a été employée pour l’interpolation des fractions sédimentaires de la totalité du plateau continental des Pays-
Bas (voir le fichier Dummy_file_WE_TNO_interpolation_fractions.doc
)
Déduction de paramètres liés à la bathymétrie et biologiquement pertinents
Un bon jeu de données bathymétriques est essentiel à tout programme de cartographie des habitats. Le plus souvent, la profondeur elle-même n’est pas déterminante, mais des paramètres dérivés tels que la pente, l’aspect et les caractéristiques topographiques sont souvent plus importants pour expliquer la variabilité des habitats. Lorsque des données bathymétriques ponctuelles sont transformées par interpolation en modèles numériques de terrain (MNT), on peut calculer un ensemble de dérivées mathématiques en tout point.
Pente et aspect
La pente et l’aspect sont deux dérivées premières d’une surface bathymétrique. La pente est définie par un plan tangent à la surface du MNT en un point quelconque. Elle comprend deux composantes, à savoir le gradient, c’est-à-dire le taux maximal de changement d’altitude, et l’aspect, c’est-à-dire la direction de compas de ce taux maximal
(définitions adaptées de Evans, 1980 et de Burrough et al., 1999). La pente surtout est utilisée dans le contexte de la cartographie des habitats. Elle peut par exemple être associée à un plus grand nombre d’espèces, peut-être à cause de la plus grande disponibilité de nourriture.
4 - Comment réalise-t-on une carte ? 231
Indice de position bathymétrique
L’ indice de position bathymétrique est une dérivée seconde de la surface. Il permet de calculer où se situe un lieu d’une altitude donnée par rapport à l’ensemble du paysage, et d’en déduire une carte donnant des caractéristiques géomorphologiques telles que pentes, dépressions, lignes de crête et zones plates.
De plus, on peut faire une estimation automatisée de la hauteur des rides de sable
( Dummy_file_WE_TNO_Sand wave height map_DCS.doc
). Cette méthode fonctionne bien pour des rides de sable seules, mais elle devient imprécise lorsque les rides se superposent à des bancs de sable.
L’indice de position bathymétrique peut être remplacé par la reconnaissance des caractéristiques topographiques à partir d’images bathymétriques.
D’autre part, dans un SIG, les outils suivants peuvent aider à tirer davantage d’information
à partir des données : dégradés de terrain ; estompage (ombres portées) ; courbes de niveau ; hauteur au-dessus du seuil ; combinaisons de ces outils.
Toutes ces techniques sont applicables aux données bathymétriques fournies par des moyens acoustiques ou optiques de télédétection. On trouve également des applications qui font appel au lidar hydrographique ( WE_Ifremer_lidar.pdf
).
4.3.3 - Combinaison de données
L’une des approches les plus intéressantes de la combinaison de données de couches physiques pour la cartographie des habitats est le concept de paysage marin décrit par
Roff et Taylor (2000). Cette approche permet de cartographier des habitats uniquement à partir de caractéristiques géophysiques, mais en ayant à l’esprit que celles-ci jouent un rôle important dans la détermination de la nature des biocénoses. Dans cette approche, les données biologiques ne sont utilisées que de manière passive pour valider les résultats finaux. Ce concept annonce aussi la prise de conscience du fait que la protection
à l’échelle des espaces ou des paysages pourrait être plus valable que la seule protection d’espèces précises. Le concept d’espace exige une démarche descendante (Laffoley et
al., 2000), soit exactement ce qui est proposé dans l’article de Roff et Taylor (2000).
La combinaison de données peut se faire simplement par des techniques de cartographie et de SIG, de préférence à partir de données transformées comme on l’a décrit précédemment. Le résultat final peut toutefois dépendre fortement :
1. De la qualité des jeux de données sous-jacents ;
2. De l’exhaustivité des jeux de données ;
5. De l’utilisation de polygones vectoriels, de données matricielles ou de grilles
vectorielles ;
6. Des valeurs seuils utilisées pour la classification dans chaque couche de données ;
7. Du recours à une classification supervisée ou non supervisée ;
8. Des types d’interrogations effectuées (diverses combinaisons de jeux de données, modifications de critères pratiques tels que seuils variables de classes, etc.).
9. D’autre part, l’utilisation plus ou moins grande de données biologiques peut avoir une grande influence sur le résultat final.
L’organigramme ci-dessous vise à montrer comment on peut combiner les principaux paramètres afin de produire des résultats significatifs pour la cartographie des habitats. La partie supérieure montre les variables primaires, dont la combinaison produit des variables secondaires. La couleur rouge met en évidence le rôle multiple de la profondeur.
La profondeur peut jouer un rôle direct dans les calculs de propagation des vagues ou les
232 4 - Comment réalise-t-on une carte ? calculs de courants. Elle peut aussi déterminer les tensions de cisaillement résultant de l’exposition de la surface du fond. Autrement, elle intervient surtout par le truchement de ses dérivées (pente, aspect, topographie). Dans l’approche des paysages marins, la profondeur peut également être combinée avec la pénétration des vagues et de la lumière pour produire des « zones biologiques de profondeur », à savoir les zones infralittorale et circalittorale. Noter que cet organigramme n’est qu’un exemple de la manière dont on peut combiner des couches de données. Les combinaisons possibles diffèrent selon la finalité de la carte, le territoire et le type de substrat.
Combinaison de données environnementales en vue d’une modélisation des habitats. Selon la
résolution
des couches de données, le résultat peut être un paysage marin, un modèle aux niveaux 3 et
4 de la typologie E
UNIS
, ou un modèle centré sur des habitats prioritaires.
Cartographie de paysages marins
Les méthodes de réalisation d’une carte de paysages marins sont bien définies (Roff et
Taylor, 2000 ; Golding et al., 2004 ; Connor et al., 2006). Elles comportent les étapes suivantes, fondées en grande partie sur l’utilisation de SIG : définition d’un ensemble de
couches de données environnementales qui caractérisent le fond ; traitement des
couches de données en vue de leur analyse ; détermination des seuils significatifs au moyen de la classification ; production des unités de paysage marin par des sommaires et interrogations des divers jeux de données ; validation des résultats sur le plan écologique.
1. Les paramètres environnementaux, qui sont de préférence stables par nature, doivent jouer le rôle d’indicateurs des types d’habitat en fonction de fourchettes de valeurs. De nombreuses caractéristiques abiotiques sont pertinentes du point de vue des habitats, mais elles n’ont pas toutes la même importance. Les couches de données choisies peuvent varier d’une région à l’autre, car certains jeux de données ont trop peu de variation pour permettre de distinguer des types d’habitat.
2. Au cours du traitement des données choisies, il faut décider du type de données à utiliser dans tout le processus. Il revient à l’utilisateur de choisir entre données
vectorielles, données matricielles ou grilles vectorielles.

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