Fondation de l'Avenir au pays de la santé numérique Mode d'emploi
En partenariat avec
Petit guide d’exploration
au pays de la santé numérique
Mathias Béjean, Maître de conférences,
Jean-Paul Dumond, Maître de conférences habilité à diriger des recherches,
Johana Habib, Maître de conférences
Sommaire
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Propos liminaire
Amorcé dès les années 70 par l’informatisation des fonctions de gestion et par les premiers projets de dossier patient numérisé, le recours aux « nouvelles technologies de l’information et de la communication » dans le champ de la santé a connu depuis quarante ans à la fois, un intérêt soutenu – les investissements en la matière ont été considérables – et des échecs retentissants, nombreux et répétés. C’est que la mise à disposition d’une technologie ne signifie pas son utilisation par des professionnels possédant de lourdes contraintes, une assez large autonomie, des pratiques tacites et une tradition respectable.
La situation, cependant, en ce milieu des années 2010 pourrait avoir brusquement et positivement changé. La mutation des générations pourrait s’être effectuée laissant la place à des praticiens tout autant attachés au métier que leurs prédécesseurs, mais plus sensibles aux contraintes économiques et aux ouvertures technologiques ; les patients, eux-mêmes, deviennent moins passifs, plus éduqués, toujours connectés et si, vieillissants, ils ne le sont pas, leurs enfants le sont pour eux ; en dépit d’utilisations encore souvent éphémères et d’une maturité technologique parfois incertaine, les objets connectés se diffusent et les entreprises mondiales les plus puissantes qui soient s’intéressent au Big
Data sanitaire. Une sorte de « conjonction des astres » semble se construire et la floraison étonnante de rapports sur la santé numérique parue en 2014 en témoigne avec clarté.
L’objet de ce « petit guide d’exploration au pays de la santé numérique » à l’usage des profanes vise à synthétiser la multitude de matériaux produits et des perspectives tracées ces dernières années dans le but de permettre au mouvement mutualiste de se positionner. Le choix peut être celui de l’attente
(apparemment peu satisfaisant, il est parfois le plus efficace), celui d’un engagement et d’un investissement dans un domaine particulier ou avec des partenaires privilégiés ou, encore, celui de la défense d’une conception particulière de la santé numérique au nom des conceptions mêmes dont le mouvement mutualiste est porteur. Les alternatives diffèrent donc par leur contenu et leur profondeur d’engagement pour la mutualité française.
Pour éclairer ces différentes voies, ce petit guide met en scène le développement de la santé numérique. Celui-ci se fonde, ni sur les capacités miraculeuses d’une technologie, ni sur le pouvoir politique d’un acteur, mais sur leur rencontre, c’est-à-dire sur la jonction entre un nouveau possible et une volonté, entre une opportunité technologique et un enjeu. Cette jonction n’est pas qu’une
étincelle ; elle est plutôt une série d’interactions entre les facultés opératoires d’un outil et le champ de préoccupations d’un groupe d’acteurs et, souvent, les mondes de plusieurs acteurs opportunément et plus ou moins durablement coalisés. Dans cet espace technique et politique où règne l’incertain se profilent pour chaque acteur, les assurances, les établissements et les professionnels, les patients et les industriels, des perspectives de développement de la santé numérique dont on ne sait jusqu’où elles se poursuivront et comment elles interagiront entre elles. Ces perspectives sont présentées pour chaque acteur avec la gradation nécessaire qui donne à l’incertitude et au choix toutes leurs places. Une fiche générale, placée en introduction, trace les perspectives envisageables pour l’ensemble du système de santé.
Ces perspectives de développement sont concrètes. Elles sont porteuses de technologies, de données, de nouvelles organisations, et de comportements requis. Elles laissent entrevoir des nécessités et des possibles, des choix et des investissements. Néanmoins, à l’égard de ces développements futurs, il semblerait que trois orientations, trois grandes options se dessinent qui font écho à des archétypes de l’action organisée.
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Trois logiques bien connues animeraient ainsi le développement de la santé numérique :
une logique de contrôle et de normalisation des comportements ouvrant sur des prescriptions et des injonctions plus serrées ; déjà à l’œuvre à l’égard de nombreux professionnels, cette logique pourrait s’étendre aux patients et, partant, à l’ensemble de la population ;
une logique d’expression et d’affirmation des intérêts individuels régulés par des transactions explicites ou implicites ; cette logique pourrait se traduire, notamment, par une individualisation croissante de la couverture contre le risque maladie, par la marchandisation accrue des données de santé et par l’apparition de nouveaux acteurs sur différents segments d’activité ;
une logique de mise en commun et de partage sous la forme de dons entre des individus se rattachant à des communautés physiques ou virtuelles ; la mise en commun peut concerner des données échangées entre patients et associations et le partage porter sur les savoir-faire, les expertises et les expériences entre professionnels au sein de communautés épistémiques et de pratique ; la médecine participative en est une illustration.
Ces logiques permettraient également de caractériser les possibilités d’intervention de la puissance publique selon trois modalités différenciées pouvant évidemment se conjuguer :
la loi, c'est-à-dire la prescription par la législation des comportements des acteurs de la santé numérique, y compris ceux des usagers ;
le contrat, c’est-à-dire la contractualisation avec d'autres acteurs, publics et privés, en jouant notamment sur des mécanismes d’"incitations" (la théorie économique de l'agence traite en partie de ces mécanismes) ;
la convention, c’est-à-dire l’établissement de norme ou, du moins, la participation à la coconstruction de normes de conduites partagées au sein de communautés d’acteurs pouvant se développer de l’échelle la plus locale à la plus globale (l’économie des conventions aborde ces questions de façon générale).
Au regard de ces logiques qui, toutes, seront présentes dans le développement de la santé numérique et qui se concrétiseront avec plus ou moins de vigueur, le mouvement mutualiste a sans nul doute sa voix à faire entendre.
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Fiche « transversale »
Cette première fiche vise à introduire les enjeux actuels du système de soins en France et de la santé numérique et à identifier les capacités transformatives des usages du numérique au sein du système de santé.
L’analyse des dynamiques de transformation pour chaque type d’acteurs se structure sous la forme de
« fiche acteur » et aborde systématiquement les points suivants : les acteurs concernés, les enjeux actuels, les opportunités et les risques induits par les usages du numérique, et enfin une analyse prospective des tendances futures envisageables dans le champ sectoriel.
Pour structurer l’analyse prospective et appréhender les différents niveaux de décision stratégique possibles pour chaque type d’acteurs, le modèle des transformations organisationnelles associées aux usages des technologies de l’information de Venkatraman (1994) est mobilisé comme canevas théorique. Il est présenté dans cette première fiche.
Les grands enjeux du monde de la santé
Constitué des professionnels exerçant en libéral, des établissements sanitaires et médico-sociaux, des entreprises (laboratoires pharmaceutiques, par exemple) et des organismes (agences, assurances, …) liées à la santé de la population, le secteur de la santé constitue un enjeu majeur pour les sociétés contemporaines. Cet enjeu peut être décomposé en :
un enjeu sanitaire : il se mesure à l’aune de la santé de la population dont le niveau dépend, pour une faible part, du système de soins et, surtout, de facteurs environnementaux. Les enjeux de santé sont marqués par ce qu’il est convenu d’appeler la transition épidémiologique. A cette
évolution majeure, s’ajoutent celle des exigences de la population (recherche du risque nul, effacement de la mort sauf sous une forme quantifiée ou dramatisée, participation aux soins, liberté de choix fondée sur un jugement éclairé) et celle des professions de santé que l’on peut estimer encore en crise ;
un enjeu économique dans la mesure où les organisations productrices de biens et de services assurent la puissance d’un pays. Or, la santé fait vivre des organisations dont la sphère d’influence est mondiale : laboratoires pharmaceutiques, entreprises de haute technologie, entreprises de services appartenant à l’économie de l’information, universités et groupes hospitaliers, notamment. Cet enjeu de politique industrielle est d’autant plus important que la santé représente un domaine où le progrès a un sens (par la production d’artefacts concernant le corps humain, notamment) et où l’innovation semble exponentielle (imagerie, biotechnologies, …), ce qui constitue un vecteur économique autant local que mondial ;
un enjeu interne de rationalisation qui devrait conduire à la réduction des asymétries d’information entre les professionnels, d’une part, les patients et les régulateurs, de l’autre, à une meilleure utilisation des technologies médicales (diagnostiques et interventionnelles), à un développement de l’hospitalisation de jour et enfin à la rationalisation des acteurs de santé opérant sur un territoire (dont la logique du parcours est une illustration) ;
Un enjeu symbolique : le secteur de la santé et les professionnels qui s’y dédient témoignent de la solidarité entre les humains et les générations en les traitant de manière aussi semblable que possible face à la souffrance et la mort ; les activités de santé ancrent les logiques du vivant dans le champ de la culture.
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La santé numérique et ses dispositifs technologiques
La santé numérique (ou e-santé) fait référence à « l'application des technologies de l'information et de la communication (TIC) à l'ensemble des activités en rapport avec la santé » (définition retenue par la
Commission européenne).
Elle intègre principalement trois domaines d’application :
Les systèmes d’information en santé permettant une meilleure coordination des soins au sein d’un établissement de santé (Systèmes d’information Hospitalier ou SIH, Dossier Patient
Informatisé ou DPI, etc.) ou d’un territoire de soins (Systèmes d’Information partagé de santé).
La télémédecine offrant des possibilités de soins à distance et regroupant 5 catégories d’actes médicaux
1
: la téléconsultation, la téléexpertise, la télésurveillance, la téléassistance, et la régulation médicale (centre 15).
La télésanté intégrant des services de suivi et de prévention des individus dans un objectif principal de bien être (objets connectés, applications mobiles d’auto-mesure, plateforme web,
…)
En fonction des utilisateurs, il est possible de distinguer au sein de ces champs d’application trois types de dispositifs technologiques génériques :
Des dispositifs technologiques centrés patient ou grand public : m-health ou m-santé (M pour
Mobile) applications de santé mobiles, applications de santé web, objets connectés, réseaux sociaux (communautés de patients), portail d’information de santé, etc.
Des dispositifs technologiques centrés offreurs de soins tels les établissements de santé et les professionnels de santé : les SIH internes, systèmes d’information partagés, systèmes d’information embarqué (ex : SMUR), dispositifs de télémédecine, etc.
Des dispositifs technologiques centrés acteurs assurantiels, régulateurs publics et industriels : outils génériques de la gestion de la relation client (CRM) ainsi que ceux du datamining (données internes) ou du big data (données externes) permettant la collecte, le stockage et le traitement algorithmique de données massives de santé.
La mise à disposition auprès d’utilisateurs potentiels d’outils technologiques apparemment intéressants ne conduit pas nécessairement à leur utilisation et à leur diffusion.
1 Cf. Décret n° 2010-1229 du 19 octobre 2010 relatif à la télémédecine.
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Les capacités transformatives des dispositifs technologiques à leur utilisation
Des dispositifs technologiques, utiles selon toute vraisemblance, sont, en effet, restés en jachère pendant de longues années. La télémédecine et le dossier patient informatisé, par exemple, s’appuient sur des technologies relativement mûres ; leurs apports ont été maintes fois précisés et, en dépit de leurs atouts, ces dispositifs restent très largement sous-utilisés au regard de leurs potentialités ou de leurs capacités transformatives.
C’est qu’il convient de distinguer les fonctionnalités d’un dispositif, les transformations possibles dont il est porteur que nous nommons ses capacités transformatives et son utilisation effective. Entre une potentialité et une utilisation, se glissent une étape et une notion fondamentales, celles de l’usage du dispositif technologique. L’usage est un emploi effectif et particulier d’un outil. Il diffère de la mise en
œuvre du mode d’emploi imaginé par les concepteurs du dispositif, pour plusieurs raisons :
l’usage est une création : le mode d’emploi ne peut prévoir toutes les situations que les utilisateurs rencontreront, auxquelles ils devront faire face et qui les conduiront à imaginer des solutions et des pratiques ad hoc, non anticipées par le concepteur ;
l’usage est une re-création : le dispositif technologique s’insère dans un monde préexistant de préoccupations professionnelles, de valeurs, de schèmes cognitifs dont la spécificité propre à chaque univers professionnel particularisent ces mondes ; les fonctionnalités du dispositif sont sélectionnées en fonction de cette spécificité et sont parfois détournées de leur fonction première pour servir à d’autres emplois (de même que l’on peut utiliser un livre pour servir de cale à une table).
L’usage d’un dispositif technologique n’est donc pas immédiat comme l’activité réalisée d’un agent n’est jamais la seule et la stricte application des prescriptions qui lui sont fournies. L’usage est une création et une recréation dont l’ampleur varie selon l’intérêt de l’acteur à s’y engager ou de sa capacité à ne pas s’y engager s’il y est plus ou moins contraint.
L’utilisation effective d’un dispositif technologique dépend donc de la capacité politique des acteurs à le refuser (s’il le rejette) ou à pouvoir en disposer (s’il le souhaite en bénéficier), notamment en pratiquant des alliances, et de leur capacité à inventer des usages permettant d’insérer l’outil dans leur monde professionnel particulier. Entre le refus ou l’acceptation politique d’un outil et le déploiement d’une capacité inventive n’existe aucun séquencement prédéfini. Les usages peuvent, par exemple, être minimalistes conduisant à une première et timide acceptation qui, elle-même, peut favoriser l’exploration de nouveaux usages ; une technologie peut être promue par intérêt par un groupe d’acteurs, puis appropriée par d’autres acteurs qui construiront des usages différents de cette même technologie. Se forment des échos ou, plus exactement, des correspondances entre le plan politique et celui de l’inventivité ; ces correspondances animent les dynamiques de diffusion d’un dispositif technologique dont l’arrêt peut être rapide ou dont le cours peut se poursuivre dans la durée.
De ce fait, selon l’importance des nouveaux usages inventés, les capacités transformatives d’un dispositif technologique peuvent conduire à des transformations organisationnelles d’ampleur variée.
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Le modèle de Venkatraman (1994)
Les usages du numérique en santé transforment aujourd’hui de nombreux aspects du système de santé, de ses modes de production à ses modes de consommation. Ils tendent à modifier tant le comportement des patients que les pratiques des professionnels de santé. De nouveaux marchés
émergent (objets connectés, télémédecine, hébergeurs de données, etc.) et la concurrence entre et avec les acteurs historiques du système de santé s’intensifie.
Ces usages du numérique et les changements qu’ils induisent peuvent être appréhendés à travers le modèle de Venkatraman (1994
2
). Dans une approche graduelle, il propose une lecture des transformations numériques selon deux axes, celui des degrés de transformation organisationnelle (axe
1) et celui des bénéfices potentiels différents en fonction de leurs niveaux d’intégration dans l’organisation (axe 2). Ces usages du numérique sont appréhendés comme des niveaux de décision stratégique. A partir de ces deux axes, il distingue cinq types de transformation organisationnelle associés aux technologies de l’information.
Figure 1 - Dynamiques de transformation du modèle de Venkatraman (1994)
Élevé
Redéfinition du modèle d’affaires
Reconception des réseaux d’affaires
Réingénierie des processus d’affaires
Intégration interne
Exploitation locale
Faible
Faible Portée des bénéfices potentiels
Élevé
Les deux premiers types de transformation sont qualifiés de changements mineurs induisant une
évolution dans l’organisation, tandis que les trois derniers sont appréhendés comme des changements majeurs produisant une révolution (au sens de bouleversement) dans l’organisation :
Les transformations organisationnelles mineures de type « évolution » : le premier niveau de transformation concerne l’exploitation ou l’adaptation locale des technologies de l’information.
Cette exploitation locale se réalise dans une logique d’informatisation sans modification notable des processus d’affaires. Le deuxième niveau de transformation est celui de l’intégration
interne. Celle-ci combine deux types d’intégration ; l’interconnectivité technologique
(interopérabilité des applications de systèmes d’information) et l’interdépendance des processus organisationnels. Le déploiement d’un ERP à l’échelle de l’organisation correspond bien à ce type de transformation.
2 Venkatraman N. (1994). «IT-enabled Business Transformation: from Automation to Business Scope Redefinition ». Sloan Management
Review, vol. 35, n°2 p. 73-87
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Les transformations organisationnelles majeures de type « révolution » : le troisième niveau de transformation se rapporte à la réingénierie des processus d’affaires. Il s’agit de reconcevoir les processus organisationnels en profitant des opportunités technologiques dans un objectif d’amélioration de leur performance en termes de coûts, de délais et/ou de qualité. Ce niveau de transformation est toutefois difficile à distinguer de l’intégration interne. Les expériences de déploiement d’application d’entreprise (ERP, CRM, etc.) montrent que les deux niveaux de transformation sont étroitement liés. Si la distinction n’est pas aisée, il faut donc davantage concevoir l’intégration interne des systèmes d’information comme un prérequis à des changements majeurs dans l’organisation. Le quatrième niveau de transformation relève de la
reconception des réseaux d’affaires dans une démarche d’intégration externe ou d’entreprise
étendue. Il s’agit ici de déployer des systèmes d’information inter-organisationnels en amont
(fournisseurs) ou en aval (distributeurs ou clients). L’organisation s’attache à développer un couplage fort avec ses partenaires pour garantir notamment la fiabilité de ces activités externalisées. Les projets d’intégration de la chaine logistique illustre bien ce niveau de transformation. Le cinquième et dernier niveau de transformation, le plus ambitieux mais
également le plus périlleux, concerne la redéfinition du modèle d’affaires. Ici, l’entreprise entreprend un changement de paradigme dans la conception de sa mission, de son métier et de ses activités. La stratégie d’Orange dans la santé (Orange Healthcare) illustre ce type de transformation. En profitant de ses compétences et ressources autour des réseaux de télécommunication, Orange se positionne aujourd’hui comme l’un des leaders français de la santé numérique en développant des systèmes d’information de santé connectés à destination des patients, des médecins libéraux et des établissements de santé. Cela constitue un nouveau métier, relai de croissance, pour le groupe.
De nouveaux repères pour la réflexion stratégique
Trois repères majeurs de transformation des modèles d’affaires des acteurs de la santé semblent actuellement identifiables ; ils méritent d’être pris en compte pour définir un positionnement stratégique dans le champ de la santé numérique :
L’ère du quantified self (« auto-mesure » ou « quantification de soi ») – Les potentialités de changement proviennent en premier lieu des patients eux-mêmes (ou plus largement des individus) qui ont modifié leurs comportements de santé en adoptant de nouvelles pratiques connectées de suivi et de contrôle de leurs performances sportives, de leurs données physiques
(sommeil, calories brulées, …) ou encore de leurs indicateurs de santé (rythme cardiaque, tension, glycémie, …). Ces usages numériques confèrent aux patients un accès à des données qui étaient jusque-là réservées aux acteurs médicaux. En ayant la possibilité de devenir les premiers producteurs de données personnelles de santé et en acceptant de les partager, les patients pourraient inciter les acteurs du système de santé à décloisonner leurs modes de fonctionnement et à développer de nouveaux services de santé. Toutefois, pour le moment, l'usage des objets connectés est encore loin d'être généralisé, la plupart des utilisateurs se lassant souvent après quelques semaines seulement d’utilisation.
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Le règne de la donnée – Les usages numériques et connectés des acteurs du système de santé ont généré une explosion des données de santé. Ces données proviennent de recherches sur le web, d’applications de santé ou d’objets connectés utilisés par les patients, de données médicales issues de dossier patient informatisé, de résultats d’imagerie, de biologie, … et de données transactionnelles telles que les prescriptions pharmaceutiques, les remboursements de l’assurance maladie ou des mutuelles. Il s’agit donc à la fois de nouvelles données de santé comme les données personnelles, les sites de santé crées par des communautés de patients ou encore les traces de mots clés sur le web, et de données de santé déjà existantes (comptes rendu médicaux, imagerie, etc.) dont le stockage électronique permet désormais une exploitation plus fine et systématique. Le vocable de « big data santé » qualifie cette explosion des données de santé et les potentialités d’exploitation offertes aux acteurs du système de santé. A titre illustratif, la disponibilité de ces données peut autoriser une meilleure personnalisation de la prise en charge médicale et préventive, une réorganisation de l’offre de soins sur le territoire grâce à une connaissance améliorée des besoins de santé ou encore des
études épidémiologiques de plus grande ampleur ou de nature prédictive.
L’acteur de santé 2.0 – Ces dernières années de nouveaux acteurs ont fait leur apparition dans le secteur de la santé en proposant de nouveaux services numériques et en ouvrant de nouveaux marchés. Qu’il s’agisse d’opérateurs de télécom, d’éditeurs de logiciel, de concepteurs d’application, de géants du numérique ou de fabricants d’objets connectés, ces acteurs redistribuent les cartes du jeu concurrentiel. Comme dans les autres secteurs
économiques impactés par le numérique, la transition numérique s’opère dans une logique d’innovation ouverte et collaborative où des alliances inédites émergent. A titre d’exemples, il est possible de citer l’alliance entre Google et le ministère américain de la santé pour la prédiction de l’évolution de la grippe H1N1, celle entre IBM et les hôpitaux de Caroline du Nord pour le suivi post-hospitalisation des patients, ou enfin celle entre Samsung et le groupe pharmaceutique américain Merck & Co pour la fabrication et la commercialisation de dispositifs biopharmaceutiques.
On peut faire l’hypothèse que la santé numérique est conduite ou tirée par l’attrait du quantified self, par le règne de la donnée et l’arrivée de nouveaux entrants qui, poussés à leur terme, conduiraient sans nul doute à une redéfinition du système de santé et à une « révolution » de son fonctionnement et de son organisation. Une autre force à l'œuvre devrait également révolutionner le modèle : l'individualisation de la médecine et des traitements qu'offre le décryptage du génome. La dimension prédictive d'un tel décryptage peut donner une toute nouvelle dimension à l'approche prévention (avec le décryptage du génome la probabilité d'un risque santé est "connue", la prévention a dès lors plus de sens) et introduire des transformations majeures dans le champ assurantiel. Aurons-nous demain une couverture santé proportionnelle aux probabilités de maladies que nous annonce notre décryptage génomique ?
Les transformations à l’échelle de chacun des acteurs utilisent ainsi l’un ou plusieurs de ces inducteurs, accélérateurs ou attracteurs de la transition numérique.
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Fiche #1 - « Patients »
Cette fiche concerne les patients des établissements de santé et médico-sociaux. Avec le développement de postures beaucoup plus actives, de nouvelles formes d’organisation de ces acteurs de la santé sont également à envisager dans l’évolution globale du système. Il s’agit par exemple de la poursuite du mouvement d’associations de malades sur internet conduisant à de nouvelles formes de communautés et de partenariats avec les établissements, les professionnels de santé et certains industriels.
Comment ces acteurs peuvent-ils se saisir des opportunités du numérique pour répondre à leurs enjeux
? Quels risques peuvent émerger de ces stratégies et usages du numérique ? Quelles dynamiques globales cela permet-il de dessiner ?
Enjeux actuels
Pour les patients, trois grands enjeux socio-économiques actuels peuvent être relevés :
Avoir accès aux soins et à l’information de santé sur tous les territoires : avec la reconfiguration de l’organisation des soins sur les territoires, les patients sont de plus en plus sensibles aux enjeux d’accès aux soins et à l’information de santé. Au niveau du système, cela renvoie notamment à des problématiques de lutte contre les déserts médicaux, de gestion des expertises de santé à l’échelle du territoire à des coûts maîtrisés (expertise médicale à distance), de développement d’alternatives à l’hospitalisation classique (hospitalisation à domicile, ambulatoire), ou au recours à la prévention et aux politiques de santé publique.
Bénéficier d’une prise en charge globale et individualisée : d’un point de vue épidémiologique, le développement de nouvelles maladies systémiques (ex : polypathologies gériatriques, maladies chroniques, …), transforment les pratiques de santé et incitent tant les structures et professionnels de santé, que les patients à s’inscrire dans des modes de prise en charge globaux et individualisés. Au niveau du système, cela renvoie notamment à des problématiques de trajectoires de santé, à la constitution de « nœuds » d’information individualisés et accessibles au plus grand nombre (dossier patient partagé, dossier pharmaceutique,…), voire au développement de mode d’accompagnement et de coaching de ces patients tout au long de leur parcours de soins.
Devenir un acteur de « ma » santé et de celle des autres : dans un contexte de maîtrise des coûts et de rationalisation de l’offre de soins, les citoyens sont de plus en plus sollicités dans la gestion de leur santé, mais aussi de celle des autres (ex : le rôle des « aidants »). Au niveau du système, cela renvoie à des problématiques d’éducation thérapeutique, d’autonomisation des patients dans l’observance de leur traitement et leur parcours de soins, et de révision de la relation médecin-patient traditionnelle. En outre, cela renvoie aussi au développement de réseaux de malades et d’aidants, permettant de mobiliser des savoirs « profanes » conjointement aux expertises médicales et soignantes dans le but d’améliorer la prise en charge et la connaissance médicale (remontée d’informations et de données de patients).
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Opportunités numériques
Face aux enjeux précédents, le numérique semble offrir des opportunités sérieuses de développement, que l’on peut regrouper en deux espaces interdépendants :
L’e-patient - Devenir contributeur d’une « médecine participative » : les opportunités offertes par les technologies de l’information, vont permettre aux patients de s'impliquer de plus en plus dans la prise en charge et le suivi de leur maladie. Grâce à internet, ils peuvent déjà s’informer en ligne, s’auto-diagnostiquer, voire s’auto-médicamenter. En 2011, le baromètre Orange-
TerraFemina
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rapportait ainsi que 60% des français avaient déjà consulté Internet pour savoir ce dont ils souffraient, et qu’il semblait que le web était devenu pour eux une source d’information complémentaire de la traditionnelle visite chez un médecin. En outre, parallèlement à cette prise d’information, les technologies web, dites « 2.0 », offrent des moyens puissants d’échange et de coordination à distance. Ces technologies permettent le développement de « communautés e-patients » (blog, portails, …) et la sollicitation d’une
« intelligence collective » (outils « wikis », plateformes collaboratives, …). Elles soutiennent une nouvelle façon d’envisager la « fabrique de la santé ». Aujourd’hui explorée par le mouvement de la « médecine participative », elle prône l’empowerment des patients (parfois traduit en français par le terme d’« encapacitation ») et l’émergence de nouvelles formes de coopération entre acteurs de santé. A l’instar du « don du sang », certains patients font ainsi « don de données » à la communauté à des fins d’amélioration de la connaissance médicale ; d’autres choisissent de s’investir comme « tuteurs » pour les autres malades. Au-delà des professionnels de santé, des industriels accompagnent eux aussi ces transformations émergentes, notamment via le développement d’outils informatiques et d’applications ad hoc.
Le quantified self – Devenir producteur de données de santé : en comparaison avec les « smart
grids » du secteur de l’énergie, les dispositifs numériques pourraient bien faire du patient l’un des premiers producteurs de données au sein des réseaux de santé. Les objets connectés
(smartphones, bracelets, vêtements intelligents, …) participent déjà d’une « auto-mesure de soi » (constantes physiologiques, alimentation, sommeil, exercice physique, …) connu sous l’expression anglaise de « quantified self ». Ce mouvement, qui pour certains signifie le passage d’un « internet des objets » à un « internet des corps », est apparu en 2007 dans la Silicon
Valley. Il a été popularisé par Gary Wolf et Kevin Kelly, tous deux rédacteurs de la célèbre revue
Wired. Depuis, le mouvement s’est beaucoup développé et se présente comme une
« collaboration entre utilisateurs et fabricants d’outils qui partagent un intérêt pour la connaissance de soi à travers la traçabilité de soi »
4
. Le projet « transhumaniste » va même jusqu’à promouvoir un nouvel homme idéal, connecté et augmenté. A plus court terme, certaines initiatives de systèmes d’information partagés semblent vouloir s’appuyer sur le patient pour assurer la « portabilité » de l’information médicale.
3
Baromètre Orange-TerraFemina, Vague 5 - La santé à l’heure d’Internet : demain, l’automédication en ligne ?, n°1100068 –Février 2011
4 “The Quantified Self is an international collaboration of users and makers of self-tracking tools”, source quantifiedself.com
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Risques
Certains risques importants peuvent être identifiés :
Confidentialité et fiabilité des données : la confidentialité des données est un enjeu de première importance pour les patients. De nos jours, beaucoup d’utilisateurs de smartphones semblent ne pas se poser encore beaucoup de questions et fournissent assez facilement des données sur eux-mêmes. Dans le cas de la santé, la CNIL a alerté sur les dérives possibles de ces comportements et les dangers que pourraient constituer les « wearables » (objets connectés)
5 en termes de respect de l’intimité et de la vie privée (effet « Big Brother »). Par ailleurs, la fiabilité des données fournies sur soi ou celles mises en ligne par des « profanes » fait également courir des risques de santé publique, notamment en termes de désinformation de certains malades ou d’amplification de comportements déviants.
Normes de santé et « normopathie » : la prolifération de capteurs et l’obsession de la mesure et de l’évaluation de soi, pourrait conduire à une forme de « normopathie » (maladie de la norme).
Les symptômes de cette pathologie ont été décrits par Y. Buin
6
: « La normopathie est la forme nouvelle de la désubjectivation : naturalisée, normalisée, finalisée afin d’accepter comme
‘naturels’ les processus sociaux. Son langage, sa pensée, son comportement normés en vue de performance et d’efficacité, ont perdu tout pouvoir de contestation. [Le normopathe] a vertu d’acceptation et de docilité. Sa vie se résume à un programme, intégré à celui d’une immense machinerie acéphale. »
Pratiques de santé et crise des savoirs : avec ces transformations, la vision de la relation patientmédecin change. Le raisonnement clinique et le projet thérapeutique doivent être explicités de plus en plus aux patients qui souhaitent être acteurs de leur santé et qui s’informent par ailleurs sur internet. Certains estiment que l’on est en train de passer d’un modèle « vertical » à un modèle plus « horizontal », où le patient questionne et développe des « savoirs profanes ».
Cette transformation pourrait donc affecter certains comportements des patients et les risques d’automédication pourraient s’accroître dans certains cas. En outre, les informations extraites des flux de données collectées (ex : big data), pourraient amener des patients, ou des groupes de patients, à contester les diagnostics médicaux. Par exemple, des signes précurseurs de dysfonctionnements physiologiques, non détectés par un professionnel de santé, pourraient
être analysés après coup grâce à des outils de datamining sophistiqués. Il peut en résulter une déshumanisation entre les patients et leur environnement médical, soignant, et même familial.
5 Le corps, nouvel objet connecté, Cahiers IP N°02, CNIL, 2014.
6
Buin, Y. (2003). ‘Normopathie’, Le Passant Ordinaire. Revue Internationale de Création et de Pensée Critique, 45-46 / Cité par Rouvroy dans le rapport de la CNIL.
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Prospective
A partir des éléments d’analyse précédents, il est possible de qualifier une double évolution (voir schéma). D’une part, on peut imaginer le passage de stratégies d’exploitation locale des technologies de l’information à des reconceptions des réseaux d’affaires, voire des valeurs et modèles d’affaires existants. D’autre part, on peut imaginer que du point de vue des patients, cette évolution sera polarisée entre, d’un côté, une demande d’individualisation de l’offre assurantielle permise par les technologies du « quantified self » et sous-tendue par des logiques de transactions, et, d’un autre côté, une volonté de contribuer à des formes de fabrique de la santé beaucoup plus solidaires et participatives soustendues par des logiques de don.
Figure 2 - Dynamiques de transformation pour les patients
Élevé
Redéfinition du modèle d’affaires
« Quantified
Self »
Reconception des réseaux d’affaires
Wikis
Réingénierie des processus d’affaires
Dossier patient
Intégration interne
« e-patient »
Faible
Exploitation locale
Portails
Faible
Blogs
Portée des bénéfices potentiels
Élevé
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Fiche #2 - « Producteurs de soins »
Cette fiche concerne les établissements de santé et médico-sociaux et les professionnels de santé. A leurs enjeux d’une territorialisation renforcée et d’une mondialisation accrue, la santé numérique peut apporter toute une gamme de solutions allant du dossier patient informatisé au datamining et du télédiagnostic ponctuel à l’utilisation de la télémédecine pour préparer les hospitalisations et assurer leur suivi.
Comment ces acteurs peuvent-ils se saisir des opportunités du numérique pour répondre à leurs enjeux
? Quels risques peuvent émerger de ces stratégies et usages du numérique ? Quelles dynamiques globales cela permet-il de dessiner ?
Enjeux actuels
Outre les enjeux permanents de nature économique et d’intégration des nouvelles technologies, les producteurs de soins sont confrontés à une double évolution à laquelle il leur faut s’adapter :
Une territorialisation renforcée : elle correspond à la mission première des services de santé de répondre aux préoccupations de la population vivant sur un territoire donné et elle est portée par l’ambition d’une rationalisation accrue des activités de santé. Elle a été soutenue par les politiques ministérielles (SROS II et suivants) et par les évolutions législatives. Alors que les systèmes de santé se sont fortement développés autour de l’hôpital, elle vise à coordonner tous les acteurs qui contribuent à la santé de la population vivant sur un territoire : hospitaliers, professionnels « ambulatoires », acteurs sociaux, familles, notamment. Elle peut prendre plusieurs formes jusqu’à accorder une responsabilité populationnelle aux établissements de santé.
Une internationalisation accrue des activités de santé : elle résulte de la transformation des activités de santé en « prestations » (LFSS du 18/12/2003), de l’importance des frais fixes dans les budgets hospitaliers, de la constitution de groupes sociaux fortunés ou aisés dans des pays
à protection sociale naissante, de la baisse des prix des transports aériens et des possibilités de prise en charge croisée entre régimes d’assurance maladie à l’intérieur de l’UE (directive 2011 relative aux soins de santé transfrontaliers). Les activités de santé donnent lieu progressivement
à un marché mondial de prestations de services.
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Opportunités numériques
Les dispositifs numériques peuvent permettre de répondre aux enjeux de la sorte :
Dispositifs
Systèmes d’information hospitaliers
(SIH)
Télémédecine
Télésanté
Opportunités / territorialisation
Assurer la transférabilité des données patients entre les professionnels d’un même territoire (objectif de base du plan
Hôpital numérique).
« Créer des parcours patient 100% numérique : prise de rendezvous en ligne, prescription en ligne, ordonnance dématérialisée, dématérialisation des résultats d’analyse, paiement en ligne des consultations, etc. » (Lemoine 2014) 7
Planifier de manière plus précise les soins à l’intérieur d’un
établissement et entre professionnels d’un même territoire.
Fédérer les professionnels par des réseaux sociaux d’échange de pratiques entre professionnels de santé d’un même territoire ou autour « de cabinets médicaux connectés, pour innover en permanence et permettre aux innovations de répondre au mieux aux besoins des professionnels de santé » (Lemoine
2014).
Analyser les données patients pour mener des actions de prévention et d’éducation pour la santé sur un territoire donné.
Permettre de nouvelles formes de collaboration entre professionnels en additionnant les expertises, malgré les distances.
Pour les établissements, redéfinir les modalités de coopération entre eux et avec les professionnels (diagnostic et surveillance à distance, formation d’acteurs et de patients), en particulier entre les EHPAD et les hôpitaux.
Opportunités / mondialisation
Analyser les données patients pour mener des actions de prévention et d’éducation pour la santé.
Vendre des diagnostics ou d’autres prestations à distance.
Préparer des hospitalisations de patients distants et assurer leur suivi.
Suivre en continu l’état de santé d’une population atteinte de maladies chroniques vivant sur un territoire donné (ex : le
Glucocompteur mis à disposition par le CHU de Toulouse).
Pour les établissements, retrouver une stratégie de développement avec « l’hôpital étendu ».
Fédérer les professionnels et les usagers par la mise en place de
« solutions numériques pour rapprocher les patients et les soignants ».
Risques
Le recours aux différents dispositifs numériques représente les principaux risques suivants pour les producteurs de soins :
Une densification du contrôle de l’activité des professionnels de la santé et des établissements.
L’exacerbation de la concurrence entre les producteurs de soins en raison de la diffusion des données relatives à leur activité (par exemple, par la création de sites de classement des
établissements de santé ouverts aux commentaires des patients et des usagers).
Un temps croissant consacré en dehors de la relation clinique (usage des dispositifs, formation et apprentissage).
7
Lemoine Philippe, La nouvelle grammaire du succès : la transformation numérique de l'économie française, rapport au gouvernement français, novembre 2014
16
Un appauvrissement accentué de la relation clinique (par le manque de présence en face à face des patients et des professionnels) et le passage d’une relation soignant-patient fondée sur l’autorité et la confiance à une relation de négociation et de contrôle (risque déjà présent)
Prospective
La santé numérique peut soutenir les deux orientations qui semblent façonner le monde des producteurs de soins, la territorialisation et la mondialisation.
La territorialisation peut être renforcée par le développement des SI selon une montée en puissance schématique s’amorçant par un DPI et l’interopérabilité des données. Celle-ci peut être organisée par les établissements ou conduite par les patients. Elle peut être accentuée par une intégration numérique et organisationnelle des acteurs de santé sur un territoire. Enfin, elle peut donner lieu à une politique de datamining. Parallèlement, la télémédecine peut faciliter la coopération des acteurs de santé autour du patient selon également une montée en puissance de l’intensité de l’utilisation de la télémédecine dans les pratiques professionnelles.
La mondialisation peut requérir un développement plus ou moins important de la télémédecine.
Celle-ci peut être ponctuelle et donner lieu ou non à une facturation, selon que l’administration est informée de la prestation et trouve pertinent d’en faire une prestation monnayable. Les interventions peuvent être régulières et, dans ce cas en général, faire l’objet d’un conventionnement. Enfin, les interventions de télémédecine peuvent être systématiques pour préparer les hospitalisations de patients vivant à l’étranger (la mauvaise qualité des diagnostics amont et des informations constitue leur point d’incertitude majeur) et pour assurer leur suivi. Un usage aussi massif de la télémédecine au service d’une inscription internationale n’a probablement de sens que dans un établissement dont le rayonnement constitue une politique centrale (avec tous les effets induits en termes de notoriété, de labellisation et de recherche).
Figure 3 - Dynamiques de transformation pour les producteurs de soin
Élevé
Datamining
Faible
Faible
DPI
DPI unique
Interopérabilité
Intégration des acteurs
Redéfinition du modèle d’affaires
Reconception des réseaux d’affaires
Réingénierie des processus d’affaires
Télédiagnostic régulier conventionné
Télémédecine pour préparer l’hospitalisation et assurer le suivi
Intégration interne
Exploitation locale
Télédiagnostic ponctuel sans facturation
Télédiagnostic ponctuel facturé
Portée des bénéfices potentiels
Élevé
17
Fiche #3 - « Assurances »
Cette fiche concerne les acteurs historiques de l’assurance à savoir : la Sécurité Sociale, les mutualités et les acteurs assurantiels privés lucratifs. De nouveaux acteurs peuvent également intervenir dans cet
écosystème assurantiel, notamment autour des applications du « Big data » (entreprises qui collectent et traitent des données de masse).
Comment ces acteurs peuvent-ils se saisir des opportunités du numérique pour répondre à leurs enjeux
? Quels risques peuvent émerger de ces stratégies et usages du numérique ? Quelles dynamiques globales cela permet-il de dessiner ?
Enjeux actuels
La transformation socio-économique de la santé soulève deux grands enjeux actuels pour les acteurs de l’assurance :
L’adéquation de l’offre de soins aux besoins évolutifs des patients : les assureurs sont directement intéressés à agir sur l’offre de soins afin de : 1) répartir celle-ci en fonction de la demande et de rendre égales les conditions d’accès aux services de santé, 2) améliorer l’efficacité clinique des prises en charge, notamment par une personnalisation accentuée des prestations proposées et 3) renforcer l’efficacité organisationnelle du système de santé dans le but de réduire le coût exigé par les offreurs et le montant des primes.
Le contrôle et la normalisation du comportement des patients : les assurances et les mutuelles jouent un rôle majeur de prévention et d’accompagnement de la prise en charge et du suivi des patients. Afin d’éviter les comportements à risque et de surveiller la conformité aux prescriptions des professionnels de santé, la recherche d’outils efficaces de prévention et d’accompagnement des patients est un enjeu fondamental. Centré sur la qualité de vie pour leurs adhérents et leurs clients, cet enjeu renvoie également à des objectifs économiques et de maîtrise du risque, et donc de dépenses de santé.
Opportunités numériques
Face aux enjeux précédents, le numérique offre des opportunités de développement, que l’on peut regrouper en deux espaces interdépendants :
Le « big data » - Accroître la capacité de prévention et de suivi des comportements des assurés : le big data consiste en la collecte puis l’analyse de données de masse grâce à des algorithmes de plus en plus sophistiqués. Il offre des opportunités importantes en termes de prévention et d’études épidémiologiques. Par exemple, un outil Google
8
s’est fait connaître pour le suivi des
épidémies de grippe qu’il propose quasiment en temps réel via une cartographie dynamique de la situation. En comparaison, les outils traditionnels de suivi réagissent souvent avec un décalage de deux semaines à partir de symptômes évoqués lors de consultations à l’hôpital.
Pour les acteurs assurantiels, ces données offrent également la possibilité d’individualiser le suivi de leurs assurés qui accepteraient de fournir des données sur leurs comportements de
8 Twitter et Facebook sont également utilisés pour effectuer de la veille sanitaire.
18
santé. Ces acteurs ont ainsi un intérêt à financer et rembourser des objets connectés, afin de collecter des données de santé qui leur font défaut à ce jour. Par exemple, suite à ses expérimentations dans le champ de l’assurance automobile (« Axa Drive »), Axa se positionne sur le marché de la prévention avec le lancement d’une offre conjointe avec Withings, acteur de la santé connectée. Autrement dit, de telles applications devraient se multiplier dans le monde de la santé (messages de prévention envoyés en « push » sur les smartphones, pilotage de la relation client de type CRM
9
en fonction de la consommation de soin, orientation de la prise en charge, …) et pourraient, à terme, intéresser de nouveaux acteurs, tels que les employeurs ; ces derniers pourraient par exemple signer des contrats d’entreprise avec des assurances en s’engageant sur des normes de comportements de leurs salariés, qu’ils seraient alors en charge de contrôler.
L’ « open data » - Ajuster les taux de remboursements en fonction de l’efficacité des dispositifs diagnostiques et thérapeutiques : la Sécurité Sociale est un acteur majeur de la régulation des données. La base de données de la SNIIRAM constitue à ce titre une vraie « mine d’or », à laquelle beaucoup d’acteurs aimeraient avoir accès. Par exemple, bien que moins souvent que les laboratoires de recherche ou certains industriels, les assurances demandent parfois des autorisations d’accès qu’elles obtiennent au compte-goutte. L’ouverture de cette base serait donc un facteur de transformation important et ferait de la Sécurité Sociale l’élément central d’un système où de multiples acteurs viendraient rechercher des données. Cela pourrait conduire à un contrôle renforcé des prescriptions (producteurs de soins) et des consommations
(patients), dans le but d’ajuster les taux de remboursements en fonction de l’efficacité des dispositifs diagnostiques et thérapeutiques. Les objectifs pourraient aussi être : un meilleur suivi des traitements, un contrôle accru des fraudes à l’assurance maladie, ou encore la rationalisation des coûts de santé. Une telle évolution changerait le réseau d’affaires et pourrait mener à l’invention de nouvelles alliances.
Risques
La plupart des risques associés aux opportunités numériques portent sur la gouvernance des données.
Ils renvoient notamment à :
Une dérive des « Bio-Banques » – le risque est de voir se développer des « Bio-Banques » de données, très rémunératrices et dont la transparence de fonctionnement pourrait échapper au contrôle des régulateurs et des malades. Car cette connaissance du vivant soulève la question du « bio-pouvoir » que le philosophe Michel Foucault relevait déjà à son époque, c’est-à-dire une réflexion politique sur la manière dont peut s’organiser une telle « gouvernance des corps » et des effets qu’elle peut avoir à long terme, tant sur les normes, que sur les pratiques de santé.
L’opacité des algorithmes – le passage de la collecte des données à la construction d’usages associés repose fondamentalement sur l’implémentation d’un ou de plusieurs algorithmes. Or, malgré leur rôle structurant dans l’analyse et les prises de décision, le fonctionnement de ces algorithmes demeure opaque pour la plupart des citoyens. Ces programmes fonctionnent souvent comme des « boites noires », alors même qu’ils contiennent de nombreuses
9 CRM : Customer Relationship Management
19
hypothèses sensibles sur la manière de traiter les données et d’arbitrer dans les champs d’action qu’ils modélisent.
L’hyper-individualisation – pour les acteurs assurantiels, l’utilisation de données de masse sur les individus pourrait signifier le passage d’un modèle de couverture de risques et de leur mutualisation, à un modèle de couverture des comportements et d’individualisation de l’offre assurantielle. Si les assureurs privés lucratifs semblent être en mesure de se positionner assez naturellement sur ce nouveau marché, l’évolution pourrait être plus compliquée pour les acteurs mutualistes dont les valeurs fondamentales seraient mises en tension. Car, comme le note Antoinette Rouvroy : « les pratiques de quantification dans le domaine de la santé favorisent la microgestion individuelle de la santé au détriment d’une appréhension plus collective. Elles font des individus des entrepreneurs d’eux-mêmes responsables de leur bon ou mauvais comportement de santé, et peuvent distraire l’attention des causes environnementales ou socioéconomiques des problèmes de santé publique. »
10
Prospective
Au regard des éléments d’analyse précédents, il semble bien que l’utilisation des données de masse fournies par les technologies de la m-santé et par les réseaux sociaux puisse profondément modifier les pratiques de prévention et de suivi des assurés. Deux grandes tendances futures peuvent être représentées grâce au modèle de Venkatraman (voir schéma). D’une part, l’accroissement du contrôle sur les comportements des assurés, d’autre part, l’individualisation de la tarification grâce à la personnalisation de l’information. Ces deux tendances invitent à une course à la collecte de données de santé, pour laquelle les géants du numérique (Google, Apple, Samsung, …) possèdent des atouts certains.
Figure 4 - Dynamiques de transformation pour les acteurs assurantiels
Élevé
Entrée des géants du numérique dans le champ de l’assurance maladie
Redéfinition du modèle d’affaires
« Big data »
Reconception des réseaux d’affaires
Réingénierie des processus d’affaires
« Open data »
Intégration interne
Exploitation locale
Faible
Faible Portée des bénéfices potentiels
Élevé
10 Le corps, nouvel objet connecté, Cahiers IP N°02, CNIL, 2014
20
Fiche #4 - « Industriels »
Cette fiche concerne les acteurs industriels du secteur de la santé à l’exception de l’industrie pharmaceutique qui est abordée en Fiche 5. L’objectif est ici d’insister sur les acteurs émergents tels les opérateurs télécoms, les hébergeurs de données, les géants du numérique, les fabricants d’objets connectés, les concepteurs et développeurs d’applications mobiles et de serious games. L’écosystème de la santé numérique a ces dernières années modifié les règles du jeu économique du secteur. Les modèles économiques des nouveaux entrants et les logiques de « coopétition »
(coopération/compétition) à l’œuvre en constituent des illustrations intéressantes.
Comment ces acteurs peuvent-ils se saisir des opportunités du numérique pour répondre à leurs enjeux
? Quels risques peuvent émerger de ces stratégies et usages du numérique ? Quelles dynamiques globales cela permet-il de dessiner ?
Les enjeux actuels
Apparu à la fin des années 90, le marché industriel de la santé numérique connait actuellement une forte croissance. Dans son étude publiée en 2013, le cabinet Xerfi Precepta évaluait ce marché à 2,4 milliards d’euros en France, et prévoyait une progression de 4 à 7% par an d’ici à 2017. Ce marché intègre un ensemble de produits ou services informatisés dématérialisant toute ou partie des dispositifs sur lequel repose la relation patient-médecin et la gestion du bien-être. Aux solutions de systèmes d’information pour les établissements ou les professionnels de santé (dossier patient, SIH, systèmes d’information partagés, télémédecine), s’ajoute aujourd’hui de nouveaux services mobiles ou de msanté.
Pour les industriels concernés, la transformation socio-économique du système de santé soulève quatre enjeux principaux :
L’accès à l’information médicale pour les patients et les professionnels de santé : la reconfiguration du système de santé, dans une logique de parcours de soins et de médecine personnalisée, induit un besoin plus grand des professionnels de santé et des patients en information médicale fiable et structurée. La problématique se situe donc dans le déploiement de dossiers patients interopérables ou partagés, où les éditeurs de solution comme les hébergeurs de données ont un rôle de premier plan.
Le développement des soins à distance : il représente un enjeu majeur pour maintenir la qualité du système de soins tout en maitrisant les dépenses. La mutualisation des expertises et la coordination des professionnels de santé à travers ces usages numériques constituent une voie de réponse à la redistribution des compétences sur le territoire et à la prise en charge des patients hors de l’hôpital. Le développement de la télémédecine dont les technologies sont aujourd’hui relativement bien maitrisées est toutefois conditionné au partage de l’information médicale, quelque en soit le support. Il s’agit de la pierre angulaire de la coordination des professionnels de santé et de l’utilisation de tels dispositifs, la qualité du diagnostic et de la prise en charge étant influencée directement par l’accès au dossier médical du patient.
21
Le patient « acteur » de sa santé : mieux informés et détenteurs de données personnalisées sur leur état de santé, les patients deviennent acteurs de leur parcours de soins et de leur bien-
être. Ces nouveaux comportements ouvrent de nouveaux marchés dans le champ de la santé numérique comme par exemple la « m-santé » (mobile-santé). Ces usages numériques sur smartphone ou tablette recouvrent des offres très variées d’applications destinées au grand public et, plus récemment, aux professionnels de santé. La m-santé est indissociable de l’explosion de l’usage d’objets connectés par les individus (pèse-personne et montre
intelligentes, tensiomètre, glucomètre, …) et de l’incursion des géants du numérique dans la santé (Google, IBM, Apple, Samsung, …) intervenant dans la collecte et l’analyse de ces nouvelles données personnelles de santé. La « m-santé » peut constituer une réponse aux difficultés de partage de l’information médicale dans notre système de santé. Elle offre l’opportunité au patient de devenir le « référent » de ses données de santé en les transmettant aux professionnels qui pourraient en avoir besoin.
La convergence des filières du care (bien-être et prévention) et du cure (soins et médicaments) : l’élargissement de l’écosystème de la santé à de nouveaux entrants proposant de nouveaux dispositifs de collecte et de diffusion d’informations de santé offre des possibilités de reconfiguration inédite des dispositifs de prise en charge par l’intégration des flux digitaux produits par les professionnels avec ceux produits par les patients et ceux qui interviennent autour d’eux (famille, aidants, intervenants sociaux, …).
Opportunités numériques
Les industriels de la santé peuvent se saisir de ces enjeux pour structurer des opportunités de développement.
Cinq stratégies d’action principales peuvent être identifiées :
Stabiliser des normes d’interopérabilité des dispositifs de santé numérique : le développement de standards communs d’interopérabilité concerne tant les applications à destination des professionnels de santé (DPI, SIH, Systèmes d’information partagés, applications mobiles, …), que celles à destination du grand public (DMP, m-santé, …). Les enjeux se situent à la fois dans l’interconnexion des dispositifs pour chaque type d’utilisateurs et dans le croisement de ces deux sources de données. Croiser les données médicales générées par les professionnels de santé avec celles produites par les patients pourrait permettre de construire des parcours de soins beaucoup plus individualisés. Actuellement, les difficultés de communication des systèmes d’information de santé représentent un réel frein à la croissance du marché de la santé numérique.
Se centrer sur une interface unique de portabilité du dossier patient : l’utilisation exponentielle du smartphone (ou de la tablette) par les professionnels de santé et les patients constitue une occasion remarquable pour stocker et diffuser l’information médicale. L’ensemble des systèmes d’information partagés de santé devrait pouvoir être accessible depuis un tel support (ou
device). Assurer la portabilité du dossier patient en faisant du smartphone l’interface centrale de la relation patient-médecin permettrait de passer d’un modèle gratuit de services connectés
à un modèle payant reposant sur l’interconnexion des applications.
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Miser sur une stratégie de plateforme : s’établir comme la plateforme de santé mondiale et incontournable à l’image de Facebook pour les réseaux sociaux ou de Google pour les moteurs de recherche représente aujourd’hui la stratégie prioritaire des acteurs du quantified self
(Runkeeper Nike+ ou Withings) et des géants du numérique. A titre d’exemples, Google a lancé récemment Google Fit Plateform permettant aux utilisateurs d’avoir un accès centralisé à leurs informations de santé et Apple, dans une logique similaire, son carnet de santé connecté,
HealthKit. L’objectif est de passer d’une logique de monétisation des fonctionnalités de leurs outils à une logique de monétisation des données personnelles de santé. Dans cette conquête du marché des données de santé, le gagnant sera l’acteur qui arrivera à fédérer un écosystème d’affaires autour de sa plateforme dans une double approche BtoC (business to customer) et
BtoB (business to business). Ces acteurs multiplient donc les partenariats avec les fabricants d’objets connectés et les concepteurs d’applications mobiles pour centraliser leurs données. De la même façon, mais sur une cible différente, Apple a conclu récemment des partenariats avec des établissements hospitaliers américains pour centraliser et traiter leurs données médicales.
Les hébergeurs de données du système de santé ou les éditeurs de solution pourraient avoir tout intérêt à se positionner sur une telle stratégie.
Prouver la performance des technologies de santé pour construire des sources de revenus durables : La labellisation des produits et services de santé connectés (application mobile,
serious game, objet connecté, …) par des organismes indépendants permettrait d’évaluer objectivement leur performance dans le cadre d’une prise en charge ou d’une action de prévention. Tant la prescription par les médecins, que leur remboursement par les acteurs assurantiels dépendent, en effet, de la démonstration de l’intérêt médical du dispositif et de sa fiabilité technologique. Dans cette stratégie de développement, gagner la confiance des médecins semble constituer un facteur clés de succès. Les difficultés du DMP en France soulignent fort bien le fait qu’il ne peut y avoir de santé numérique sans adhésion des professionnels de santé. Or, rares sont actuellement les médecins qui considèrent que les données de santé recueillies en dehors du parcours de soins possèdent une valeur d’un point de vue clinique. Pour les industriels de la m-santé, le défi est donc d’impliquer les médecins dans une logique de co-construction des technologies de santé ou de s’allier à des laboratoires pharmaceutiques dont l’expertise médicale est reconnue.
Fédérer les offres de santé numérique : ceci pourrait se faire par le biais d’associations professionnelles ou de groupements publics pour les systèmes d’information des
établissements et professionnels de santé et par le biais de magasins (ou de pharmacies) spécialisés virtuels et/ou physiques pour les objets connectés et les applications de m-mobile.
Pour les offres à destination du grand public, cela permettrait d’avoir une plus grande visibilité de ces produits et services, de les comparer notamment dans une logique communautaire (avis des internautes) ou encore d’obtenir les conseils de professionnels.
Risques
Comme dans tout marché émergent, les risques sont importants pour les industriels :
Une régulation des pouvoirs publics attendue : qu’il s’agisse de solutions informatiques à destination des professionnels de santé, d’applications et d’objets connectés pour le grand public ou encore de l’exploitation des données personnelles de santé, les industriels attendent un positionnement des pouvoirs publics pour dessiner le contour de ces nouveaux modèles
23
d’affaires. Qui paie ces nouveaux services de santé ? Les individus sur un marché concurrentiel ?
La sécurité sociale ? Les mutuelles ? Les employeurs ? Les professionnels de santé ? De la cible dépendent, notamment, le positionnement du produit et les exigences règlementaires et techniques à respecter. Il en va de même pour les stratégies big data des nouveaux entrants.
Sous quelles conditions peuvent-ils exploiter et commercialiser les données personnelles de santé ? L’absence de cadre réglementaire clair sur ces questions freine la croissance du secteur de la santé numérique.
Des modèles d’affaires non stabilisés : malgré les estimations de croissance optimistes du marché de la santé numérique, les modèles économiques des industriels sont loin d’être stabilisés. A titre d’exemple, sur le marché de la m-santé plusieurs modèles économiques ont vu le jour: le paiement de l’application lors du téléchargement ou l’achat de l’objet connecté, l’abonnement à des services premium (fonctionnalités avancées) et enfin la revente des données à des tiers. Si actuellement ces sources de revenus sont la plupart du temps combinées, force est de constater que la diversification des sources de financement et des clients (médecins et assureurs) est une priorité pour ces entreprises.
La difficile évaluation médico-économique des technologies de santé : la reconnaissance du bénéfice médical et du gain économique permettant d'envisager la labellisation et/ou le remboursement du dispositif numérique, est un processus long et complexe. Le dispositif de
Sanofi de suivi du diabète, Diabeo, en est un exemple. Ce dispositif est conçu comme un outil de collecte et de partage d’informations entre le patient et les professionnels de santé et vise à améliorer l’équilibre glycémique des diabétiques. Depuis 2011, les études se succèdent pour prouver l’efficacité du dispositif sans que pour l’instant les résultats soient suffisamment concluants pour l’assurance maladie. Ces difficultés liées à l’évaluation médico-économique des technologies de santé proviennent du fait qu’elles ne génèrent pas d’économies directes pour l’assurance maladie. En effet, si ces technologies améliorent la qualité de la prise en charge et
évitent des dépenses (hospitalisation, traitement plus coûteux, …), elles ne permettent pas une baisse du coût des dispositifs médicaux (comme c’est par exemple le cas avec les médicaments génériques).
Sécurité et bon usage des données de santé : les données de santé sont particulièrement sensibles. Leur piratage ou leur exploitation par des organisations mal intentionnées peut avoir des conséquences importantes sur la vie des individus concernés. Cette problématique relative
à la sécurité et à la confidentialité des données, les hébergeurs de données de santé français l’ont bien intégré. Mais qu’en est-il des nouveaux entrants qui se sont lancés dans une stratégie de collecte de données massives de santé ? La revente de données agrégées et anonymes, estce une garantie suffisante ? Des pratiques frauduleuses ou non éthiques dans l’exploitation des données personnelles de santé pourraient décrédibiliser les industriels de la m-santé. Dans de telles situations, il semble également possible d’envisager des répercussions négatives sur les systèmes d’information médicaux, les patients devenant réfractaires au partage d’information.
La fin de l’ère du quantified self : Lassitude, nouvelle mode ou mesure du risque par les individus sont autant de phénomènes pouvant opérer un « retournement du marché ». Les premiers impactés seront directement les acteurs de la m-santé ne disposant pas de compétences distinctives autres dans le secteur de la santé.
24
Prospective
A partir des analyses précédentes, il est possible d’identifier deux trajectoires d’évolution numérique pour les industriels, d’un côté celle des géants du numérique et de l’autre celle des industriels de la msanté, des hébergeurs de données et des éditeurs de solution (voir schéma). Ces trajectoires illustrent des positionnements stratégiques différents en fonction notamment de leur expertise initiale.
Pour les industriels de la santé numérique au regard de leur maturité technologique, seuls des niveaux de transformations majeurs peuvent être considérés. Les stratégies actuelles situées sur la reconception des réseaux d’affaires dans une logique de coopétition (ex : partenariats entre les fabricants d’objets connectés pour fédérer un écosystème web autour de la m-santé) permettent d’envisager pour ces acteurs une future redéfinition de leur modèle d’affaires. Cette transformation numérique s’oriente dans deux directions stratégiques : la commercialisation de dispositifs thérapeutiques connectés et le
big data. Ces deux stratégies seront très certainement combinées pour les géants du numérique qui disposent déjà de compétences et ressources pour l’exploitation des données massives.
Figure 5- Dynamiques de transformation pour les industriels (non pharmaceutiques)
Élevé
Stratégie de commercialisation de dispositifs thérapeutiques connectés
Redéfinition du modèle d’affaires
Stratégie Big data : commercialisation à grande
échelle des données de santé
Stratégie d’alliances des géants du numérique
Intégration interne
Exploitation locale
Reconception des réseaux d’affaires
Réingénierie des processus d’affaires
Stratégie de plateforme des hébergeurs de données et des éditeurs de solution
Nouvelle compétence distinctive : la gestion et l’exploitation des bases de données massives
Stratégie de plateforme des fabricants d’objets connectés
Faible
Faible Portée des bénéfices potentiels
Élevé
25
Fiche #5 - « Laboratoires pharmaceutiques »
Cette fiche propose une lecture de la transition numérique qui s’opère dans l’industrie pharmaceutique.
A l’instar des autres acteurs de la santé, les usages du numérique sont susceptibles de modifier profondément les relations entre les laboratoires, les médecins et les patients. A l’ère de la santé connectée et du Quantified Self, certains industriels du médicament ont d’ores et déjà construit une stratégie de digitalisation de leur chaîne de valeur, parfois en rupture avec les fondements de leur business model traditionnel. Toutefois dans cette industrie, les entreprises qui ont développé ce niveau de maturité dans l’utilisation du numérique sont encore peu nombreuses
11
. La plupart se contentent de proposer une digitalisation de pratiques existantes. Centrées sur les actions de marketing et de vente, ces initiatives numériques – une application, un site web, un serious game, un objet connecté – sont encore peu connectées entre elles et ne s’intègrent pas toujours dans une démarche multicanal cohérente.
Comment ces acteurs peuvent-ils se saisir des opportunités du numérique pour répondre à leurs enjeux
? Quels risques peuvent émerger de ces stratégies et usages du numérique ? Quelles dynamiques globales cela permet-il de dessiner ?
Enjeux actuels
Pour les laboratoires pharmaceutiques, les transformations socio-économiques à l’œuvre dans le champ de la santé induisent quatre enjeux importants :
Le passage d’un système de santé centré sur le soin à un système intégrant davantage la prévention et le bien-être : les usages du numérique en santé autorisent une meilleure connaissance des comportements de santé des individus, ainsi qu’un meilleur suivi de certaines maladies, notamment chroniques. Cette transformation du système de santé amène à concevoir une médecine plus globale dépassant la seule consommation de médicaments comme dispositif de prise en charge.
L’individualisation de la prise en charge des patients : la médecine personnalisée constitue l’une des voies les plus prometteuses dans la prise en charge de certaines pathologies : diabète, cancer, insuffisance cardiaque, etc.
Elle consiste à traiter chaque patient de façon individualisée en fonction des spécificités génétiques et biologiques de sa maladie, mais également en tenant compte de l’environnement du patient et de son mode de vie. Cette médecine impose d’améliorer la coordination entre les acteurs du système de santé – hôpital/médecine libérale, médecin/patient, laboratoires/prescripteurs, etc. – dans l’objectif de suivre plus finement l’efficacité thérapeutique des traitements.
Des besoins accrus en information et en formation : les patients comme les médecins sont demandeurs, tant d’informations de santé sur les traitements, leurs conditions d’efficacité et leurs effets secondaires, que de formations (ou de coaching) permettant de mieux appréhender les ou leurs maladies. Par ailleurs, l’accès facilité des patients à des informations médicales de
11 « Les laboratoires pharmaceutiques face à la transformation digitale », juillet 2014, Les Echos Etudes en partenariat avec Meditailing.
26
qualité inégale (site web, forum, application,…) peut engendrer des pratiques d’automédication qui constituent un risque réputationnel pour les laboratoires en cas d’utilisation non appropriée, détournée ou abusive d’un médicament. Or pour l’instant peu de laboratoires ont développé des initiatives numériques visant à améliorer l’information des professionnels et des patients sur les médicaments et leur bon usage.
La réduction du coût des dispositifs thérapeutiques : la pérennité financière du système de soins passe également par une meilleure maîtrise des dépenses thérapeutiques. Certains pays ont déjà déployé des dispositifs de téléobservance visant à évaluer le respect par le patient des prescriptions d’utilisation d’un traitement et à éviter des abandons. En France, un tel dispositif a été proposé dans le suivi de l’apnée du sommeil où les abandons sont nombreux et coûteux mais son application a, pour l’heure, été annulée par le Conseil d’Etat
12
. L’objectif est de conditionner le remboursement du traitement à son bon usage par le patient. Dans cette logique de lier le remboursement à l’efficacité du traitement par le suivi à distance, l’assurance maladie du Portugal a contractualisé avec la société Fresenius, numéro 1 de la dialyse à domicile, et conçu une modalité de remboursement des produits et services de la société en fonction de critères objectifs d’efficacité – niveaux d’hémoglobine, taux de mortalité, nombre de jours d’hospitalisation, etc. Cette logique de remboursement à l’efficacité s’applique
également à l’industrie du médicament. En Italie, le traitement contre l’ostéoporose est remboursé à l’assurance maladie si une fracture survient chez le patient au cours des douze premiers mois du traitement.
Opportunités numériques
Face aux enjeux précédents, la santé numérique semble offrir des opportunités intéressantes de transformation pour les laboratoires pharmaceutiques. Ces opportunités se structurent en trois espaces interdépendants :
Devenir un véritable partenaire santé en digitalisant les relations laboratoires / médecins / patients dans une approche multicanal intégrée : la santé numérique offre de nombreuses opportunités pour concevoir un service médical d’un nouveau genre où les laboratoires se positionneraient à l’interface des relations patients/médecins. En ce centrant sur le patient pour
évaluer l’efficacité d’un traitement, l’adhésion et les effets secondaires, les dispositifs numériques permettent de développer des modèles B2B2C, de type beyond the Pill (au-delà de la pilule). Dans cette perspective, certains laboratoires pharmaceutiques avancés dans la transformation digitale de leur stratégie et de leur organisation interne proposent des solutions innovantes. On peut citer les dispositifs Diabéo (assistant numérique pour patient) et iBGStar
(lecteur de glycémie connecté) de Sanofi pour la prise en charge du diabète ou encore les applications Mon Asthme® de GSK. Profiter de ces innovations pour renforcer la relation médecin/ patient nécessite de passer d’une approche orientée « outil » – une web conférence, un serious game, un objet connecté, la promotion numérique des médicaments, un module de e-learning – à une approche d’intégration cohérente de ces applications pour collecter et des diffuser des informations utiles aux médecins et aux patients. Les réseaux sociaux peuvent
également être utilisés pour développer de nouvelles relations en invitant les patients et les médecins à participer à l’amélioration des dispositifs thérapeutiques (ex : le compte Twitter
12 La décision du Conseil d'Etat du 28/11/14 a, en effet, annulé deux arrêtés à l’initiative de l’assurance maladie qui conditionnaient le remboursement de la Pression Positive continue (PPC) - traitement de référence de l'apnée du sommeil - à son observance. Le Conseil d'Etat a estimé que le législateur ne pouvait pas lier le remboursement à une condition d'utilisation effective du dispositif par le patient.
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@Diabetes_Sanofi aux Etats Unis et les comptes Facebook et Twitter de Roche intitulé la “Voix des patients”) ou encore pour recruter des patients pour des essais cliniques (ex : la société américaine Mytrus propose une plateforme de mise en relation). Ces usages numériques invitent les laboratoires à construire une stratégie de communication multicanal intégrée permettant de consolider les données autour d’un CRM. Les créations de poste de Chief Patient
Officer au sein des grands laboratoires témoignent de ces nouvelles perspectives de la relation patient. Si le cadre réglementaire aujourd’hui en France (comme dans la plupart des pays européens) n’autorise pas les contacts directs entre les laboratoires et les patients pour éviter des dérives promotionnelles autour des médicaments, les laboratoires peuvent toutefois récolter directement des données patients dans le cadre de programme numérique d’information ou de sensibilisation ou encore développer des stratégies d’alliances avec des partenaires autorisés à communiquer directement avec les patients (médecins, instituts de recherche, acteurs assurantiels, voire les géants du numérique).
Se positionner sur les nouveaux marchés de la santé numérique en maitrisant les technologies : le marché de la m-santé et des objets connectés a élargi l’écosystème de la santé à des nouveaux entrants ayant une très grande expertise technologique (start-ups du Quantified self, géants du numérique - Google, Apple, Samsung, …). Cette maitrise technologique constitue aujourd’hui un pré-requis à la transformation des industriels du médicament. Proposer des offres digitales innovantes alliant molécule et/ou services connectés, sources de création de valeur demain, doit conduire les laboratoires à développer de nouvelles compétences distinctives de type technologique. En opérant cette transformation de leur métier ou en s’alliant à des partenaires disposant de ces compétences (ex : industriels de dispositifs technologiques de santé ou encore fabricants d’objets connectés), les laboratoires pourront se positionner sur la m-santé et concurrencer les géants du numérique dans leur offre. Ils ont, en tout cas, la légitimité pour profiter de la monétisation des services de santé connectés, notamment à travers la prescription médicale et le remboursement de ces offres par les acteurs assurantiels.
Considérer la « data » comme une ressource stratégique : la santé numérique est productrice de données de santé dont les industriels du médicament doivent se saisir. L’ensemble des dispositifs de santé connectés – téléobservance, « smart pills » ou pilules intelligentes, objets connectés, applications mobiles, etc. – génère des données qui constituent aujourd’hui une ressource stratégique de premier ordre dans la transition numérique en santé. Les stratégies de plateforme des industriels sur les données personnelles de santé (Runkeeper, Withings,
Apple HealthKit, Google Fit Platform, …) illustrent fort bien le jeu concurrentiel à l’œuvre. La stratégie « data » des laboratoires peut se situer sur deux axes de développement. Le premier concerne la constitution de bases de données « clients » consolidées (patients et médecins) pour améliorer leur connaissance des thérapeutiques et diffuser l’information dans le système de santé. En outre, en se positionnant sur le marché du bien-être et de la prévention, les laboratoires pourraient disposer de bases de données stratégiques croisant des données personnelles et médicales de santé. Ce qui n’est pas encore réellement possible pour les nouveaux entrants de la santé numérique. Le deuxième axe est celui du big data ou de l’open
data. L’exploitation de certaines bases de données, comme par exemple celles de l’assurance maladie (SNIIRAM) permettrait aux laboratoires d’évaluer ou de prouver l’efficacité de leurs dispositifs thérapeutiques, élément essentiel dans une approche de remboursement à la performance, d’ajuster en temps réel leurs vaccins (ex : grippe.net.fr), de réduire le temps de développement de nouveaux médicaments par un meilleur suivi des études cliniques, ou
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encore d’optimiser la production des médicaments en fonction de la demande. Les sociétés spécialisées dans la collecte et la vente de données pharmaceutiques destinées aux professionnels de santé (ex : Cegedim, Celtipharm,…) peuvent également être intéressées par l’ouverture de certaines bases de données publiques pour enrichir leurs analyses.
Risques
Sources d’opportunités inédites, la santé numérique comporte toutefois deux risques principaux pour les laboratoires :
La périlleuse étape de l’intégration externe pour profiter des données : les expériences de projet d’intégration externe en systèmes d’information comme les projets CRM notamment, ont relevé les difficultés inhérentes à leur mise en œuvre
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. L’intégration organisationnelle et technologique qui permet de développer progressivement une entreprise étendue et agile bouleverse les structures organisationnelles et les ressources humaines, et peuvent affaiblir l’organisation temporairement.
La rapidité de la transition numérique : la question est de savoir si l’industrie pharmaceutique, ou tout au moins certaines de ces entreprises, arriveront à opérer leur digitalisation par la maîtrise des technologies suffisamment rapidement pour concurrencer les nouveaux entrants, occupés à développer quant eux leur expertise médicale. La création en 2013 de Calico par
Google, société de biotechnologie s’attaquant au vieillissement et aux maladies associées, est
à cet égard illustrative. Sponsor privilégié du mouvement transhumaniste, Google développe le projet de prolonger la durée de la vie humain par le biais des nouvelles technologies et de l’intelligence artificielle. A l’image des lentilles connectées de Google pour les diabétiques mesurant en temps réel la glycémie, « l’homme augmenté » est peut-être pour demain. Si pour l’instant, les offres santé de ces nouveaux entrants sont développées en partenariat avec des laboratoires pharmaceutiques, il n’est pas certain que cela soit toujours le cas dans quelques années au regard de la capacité d’absorption de connaissances de ces sociétés. Il est en tout cas fort probable que les solutions de santé de demain mettront en concurrence Pfizer ou Sanofi avec Google ou Apple.
Prospective
A partir des éléments précédents, il est possible d’identifier deux trajectoires d’évolution numérique
(voir schéma). Ces trajectoires illustrent tant des niveaux de décision stratégiques que des stades de maturité numérique différents au sein de l’industrie pharmaceutique.
Trajectoire 1 : De l’exploitation locale à la reconception des réseaux d’affaires : l’exploitation locale des technologies numériques à des fins marketing ou de communication concerne actuellement la majorité des laboratoires pharmaceutiques. Proposer une application de suivi d’une pathologie, des alertes sms pour rappeler la prise d’un médicament (ex : l’application
Médi’rappel de Biogaran), ou encore un serious game d’éducation thérapeutique illustrent, pour la cible patient, ce premier niveau de changement. Ces initiatives locales, toutes quasiexclusivement gratuites, ne modifient pas les processus ou le modèle d’affaires des
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Cf. « Marketing comment manager ses nouveaux clients » Actualités pharmaceutiques, mai 2006. Dans ce numéro, une étude montre les difficultés de mise en œuvre des projets CRM engagés dans les entreprises pharmaceutiques.
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laboratoires. Le développement d’une stratégie d’intégration de ces initiatives dans une approche multicanal devrait amener les laboratoires à s’engager simultanément dans une réingénierie de leurs processus d’affaires et une reconception des réseaux d’affaires.
Trajectoire 2 : De l’intégration externe à la redéfinition du modèle d’affaires : Les entreprises les plus avancées dans la transformation digitale pourront profiter de leur niveau d’intégration pour se repositionner sur les nouveaux marchés de la santé numérique – m-santé, objet connecté, plateforme de données, exploitation du big data, … – et devenir fournisseurs de technologies de santé en complément de leur métier traditionnel du médicament. Par le biais de ces technologies de santé connectées, les laboratoires pourraient développer des relations partenariales avec les acteurs assurantiels à l’image aujourd’hui des objets connectés (ex : alliance Withings / Axa).
Figure 6 - Dynamiques de transformation pour les industries pharmaceutiques
Élevé
Faible
Fournisseurs de technologies de santé
Nouveau métier sur de nouveaux marchés (m-santé, objets connectés…)
Redéfinition du modèle d’affaires
Réseaux sociaux
Big Data
Reconception des réseaux d’affaires
Réingénierie des processus d’affaires médicales consolidées
(CRM)
Interconnexion des applications de santé connectée
Bases de données personnelles et
Intégration interne
Exploitation locale
Approche « outil » : applications locales et non intégrées de santé connectée
Faible Portée des bénéfices potentiels
Élevé
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